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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

Extrait de Utopies

 

À qui appartient la réalité?

 

On dit que le réveil est la mort du rêve

 

À l’aube nous quittons un univers elliptique

où tous les possibles se réunissent dans l’illusion

qui englobe la nature banale mais infernale

au service d’êtres affamés qui nous cachent

la prodigieuse beauté dans la vie enfin libérée

de la gravité des masses obligées à la nécessité

 

À l’aube nous voyons à l’éveil des êtres imparfaits

qui ne veulent plus se laisser dévorer par la réalité

 

Pour la multitude la matière est corruptible

mais pour la poignée de voyants véloces

elle est vide en tous les états et gardée en férocité

par des monstres aux attributs vaguement célestes

 

Certains d’entre nous veulent devenir dieu

pour remplacer les maîtres silencieux dans l’empyrée

car sur la terre élémentaire ils sont les serviteurs obligés

d’êtres étranges partis vers d’autres colonies

où ils parasitent d’autres intelligences naïves

afin de combler jusqu’à l’épuisement des vies soumises

leur insatiable appétit de malheur et de souffrance

 

Les énergies noires générées dans leurs veilles

alimenteront la fournaise éternelle

des cœurs survoltés et des corps torturés

 

À tous les amis demeurés sur le sol illusoire

la clé de la réalité appartient aux dimensions

contrôlées par des intelligences obscures

dont la finalité n’a rien à voir avec notre chair

 

La clé de la réalité appartient à ceux qui l’ont forgée

bien avant la cervelle bien avant le premier pas

du candidat zéro qui n’a plus regardé ses mains

et ses pieds mais bien le ciel sombre et secret

qui le voit s’agiter en vain avec la voile des siècles

 

Cette réalité n’est pas la nôtre car elle appartient

à des êtres étranges qui menottent notre conscience

pour que nous puissions les adorer dans la souffrance

par l’abandon au silence par le renoncement perpétuel

aux fruits de la terre et au repos éternel

dans toutes les chairs scarifiées mises aux normes

 

En lieu et place notre bonheur est relégué au rituel

à genoux dans la poussière des temples intemporels

 

Cette réalité appartient à leur réalité

comme le fer à l’armure et l’arme au fourreau

et le cœur retourné à la cotte de mailles

 

Le corps que l’on voudrait libre et léger

est lourd à porter quand nous guerroyons

pour un bout de gras et un baiser sanglant

 

La gravité oblige et pourtant

le malheur n’est pas dans les heures passées

 

Depuis le début du temps et de la matière

nous assumons platement notre pesanteur

pour mieux vivre l’errance sur terre et l’interrogation

d’un ciel profane dont on ne peut détacher

la dépendance à tous les dieux malicieux

qui cultivent l’équivoque et l’absurde

sur les tenants et les aboutissants de notre espèce

quand nous ignorons la sinistre réalité

quand nous sommes aveugles et aux ordres

des mangeurs de cœurs palpitants

et que nous devons nous contenter

de la poussière issue de l’usure de nos os

et de la vue de nos origines corrompues

et de nos langues supérieures mais muettes

sur les origines erronées de notre cosmos