Extrait de Utopies
À qui appartient la réalité?
On dit que le réveil est la mort du rêve
À l’aube nous quittons un univers elliptique
où tous les possibles se réunissent dans l’illusion
qui englobe la nature banale mais infernale
au service d’êtres affamés qui nous cachent
la prodigieuse beauté dans la vie enfin libérée
de la gravité des masses obligées à la nécessité
À l’aube nous voyons à l’éveil des êtres imparfaits
qui ne veulent plus se laisser dévorer par la réalité
Pour la multitude la matière est corruptible
mais pour la poignée de voyants véloces
elle est vide en tous les états et gardée en férocité
par des monstres aux attributs vaguement célestes
Certains d’entre nous veulent devenir dieu
pour remplacer les maîtres silencieux dans l’empyrée
car sur la terre élémentaire ils sont les serviteurs obligés
d’êtres étranges partis vers d’autres colonies
où ils parasitent d’autres intelligences naïves
afin de combler jusqu’à l’épuisement des vies soumises
leur insatiable appétit de malheur et de souffrance
Les énergies noires générées dans leurs veilles
alimenteront la fournaise éternelle
des cœurs survoltés et des corps torturés
À tous les amis demeurés sur le sol illusoire
la clé de la réalité appartient aux dimensions
contrôlées par des intelligences obscures
dont la finalité n’a rien à voir avec notre chair
La clé de la réalité appartient à ceux qui l’ont forgée
bien avant la cervelle bien avant le premier pas
du candidat zéro qui n’a plus regardé ses mains
et ses pieds mais bien le ciel sombre et secret
qui le voit s’agiter en vain avec la voile des siècles
Cette réalité n’est pas la nôtre car elle appartient
à des êtres étranges qui menottent notre conscience
pour que nous puissions les adorer dans la souffrance
par l’abandon au silence par le renoncement perpétuel
aux fruits de la terre et au repos éternel
dans toutes les chairs scarifiées mises aux normes
En lieu et place notre bonheur est relégué au rituel
à genoux dans la poussière des temples intemporels
Cette réalité appartient à leur réalité
comme le fer à l’armure et l’arme au fourreau
et le cœur retourné à la cotte de mailles
Le corps que l’on voudrait libre et léger
est lourd à porter quand nous guerroyons
pour un bout de gras et un baiser sanglant
La gravité oblige et pourtant
le malheur n’est pas dans les heures passées
Depuis le début du temps et de la matière
nous assumons platement notre pesanteur
pour mieux vivre l’errance sur terre et l’interrogation
d’un ciel profane dont on ne peut détacher
la dépendance à tous les dieux malicieux
qui cultivent l’équivoque et l’absurde
sur les tenants et les aboutissants de notre espèce
quand nous ignorons la sinistre réalité
quand nous sommes aveugles et aux ordres
des mangeurs de cœurs palpitants
et que nous devons nous contenter
de la poussière issue de l’usure de nos os
et de la vue de nos origines corrompues
et de nos langues supérieures mais muettes
sur les origines erronées de notre cosmos