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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

Extrait de Babelle 1. Après le déluge

 

Baby Lone

 

maintenant je suis cette femme que tu n'attendais plus

je suis cette femme sur laquelle tu as tant sacré

tu as tant vomi pour je ne sais quelle raison

oh sinon d'avoir peur de ta petite chair qui faiblit

au milieu de tes pauvres déploiements d'énergie

de tes interminables virées pour battre l'air

afin d'avoir du beurre à mettre sur tes plaies

pis ces plaies pis ces larmes que  tu gardes

au fond de l'évier que tu te gardes de montrer

de peur de montrer quoi je ne sais quoi

la faiblesse de la chair que tu transfères

comme un compte de banque sur la femme d'à côté

près de laquelle tu élaborais ces stratégies de muscles

ces parades imaginaires pour épater le réel

pour labourer le flanc de ton petit village gelé

dans la solitude des cerveaux à jamais au repos

pour enfin laisser ta semence dormir en toute quiétude

dans le désordre inquiétant de la reproduction

mais je sais oh je sais que tu seras là un jour

à m'attendre au bar de l'ouest et ce jour-là

je ne serai pas serveuse je ne serai pas là pour toi

pour te servir ni servir ces gars toujours monnayables

je serai là avec la lucidité des acides aminés

comme seule monnaie de singe je serai là

pour te déchirer pour me déchirer les vêtements

mille fois portés pour le désir du corps réel

pour l'usure du regard et l'usage de la peau

dans la faiblesse mutuellement consentie

après l'échange de nos corps je ne me donne pas

je ne me donne plus je te donne et tu n'as rien

comme je n'attends rien de toi mais je sais

que tu sais donner tout donner malgré tes maladresses

malgré tes pauvres cheveux blancs que tu comptes

un à un en travaillant tout en vomissant ton passé

cheveux qui tombent un à un avant de te coucher

dans le lit toujours défait de toutes les défaites

vois regarde tu ne peux plus me dominer

tu ne peux plus me dévorer car ma chair de fer

ne connaîtra plus la misère de vivre dans ta nature

tu peux me mettre mais tu ne peux plus me mettre

à la place de ton choix en arrière toujours en arrière

avec les arêtes et tous les restes froids de la table

de tous les repas de cannibales depuis que tes lois

depuis que tes droits et tes usages du plus fort

parce que je suis l'éternité de cette terre

que tu as salie bafouée humiliée bouleversée

parce que des poteaux parce que des piquets

et de la broche à foin tout autour de mon linge

parce que des chiens attachés avec des dents gâtés

avec juste assez de corde à ronger la liberté de semer

ces graines là où il y a de la terre vierge

et rien que de la terre donnée qui n'attend rien

parce que la faim parce que les lois des ventres vides

qui ont planté par nécessité la différence du désir

je suis cette femme que n'aveugle plus l'indifférence

matérielle je suis cette femme qui te reconduit

avec tes mots à la rigueur de mon corps

pour me servir pour te servir de toi sans asservir

car le regard car la vigueur de cette main sur mon sein

avec le comptoir comme seul usage du réel

avec ce ventre de cognac pour la combustion spontanée

du rire du sourire avec cette tendresse oui cette tendresse

malgré le pourboire qui nous sépare tous les soirs

depuis les jeux impubères de l'école secondaire

et ta nudité me dresse et tes cheveux oui tes cheveux

que je revois roux sur ces vieilles photos jaunies

et tu parles de tes absences de tes silences

de ces cicatrices que la banalité de la souffrance

ponctue pour la grammaire élémentaire de la terre

et tu parles par tes livres et je te tiens tête par mon rire

et tu parles avec des lèvres d'emprunt car je sais ta gêne

car je sais ta confusion déployée pour la séduction

et tu restes là à m'attendre tout penaud dans le labeur

même si le labeur te gratifie de la petitesse de la peur

même si je n'arrive plus à donner pour mieux te libérer

tu restes là à sécher dans l'air conditionné

avec tes livres sous le bras avec le dernier verre de cognac

que je devrai laver avec tes cendres répandues dans mon tray

viens et n'en parle plus viens emprunter tous les orifices

que tu connais depuis le déluge viens à jamais

pour t'évacuer pour m'évacuer ce corps opaque

qui n'a de cesse de durer malgré la dureté du désir

mais je serai devant toi et je répondrai à tes gestes

à tes caresses que par certitude de l'encerclement

que par le retour enfin promis au compromis de la chair