Extrait de Babelle 1. Après le déluge
Baby Lone
maintenant je suis cette femme que tu n'attendais plus
je suis cette femme sur laquelle tu as tant sacré
tu as tant vomi pour je ne sais quelle raison
oh sinon d'avoir peur de ta petite chair qui faiblit
au milieu de tes pauvres déploiements d'énergie
de tes interminables virées pour battre l'air
afin d'avoir du beurre à mettre sur tes plaies
pis ces plaies pis ces larmes que tu gardes
au fond de l'évier que tu te gardes de montrer
de peur de montrer quoi je ne sais quoi
la faiblesse de la chair que tu transfères
comme un compte de banque sur la femme d'à côté
près de laquelle tu élaborais ces stratégies de muscles
ces parades imaginaires pour épater le réel
pour labourer le flanc de ton petit village gelé
dans la solitude des cerveaux à jamais au repos
pour enfin laisser ta semence dormir en toute quiétude
dans le désordre inquiétant de la reproduction
mais je sais oh je sais que tu seras là un jour
à m'attendre au bar de l'ouest et ce jour-là
je ne serai pas serveuse je ne serai pas là pour toi
pour te servir ni servir ces gars toujours monnayables
je serai là avec la lucidité des acides aminés
comme seule monnaie de singe je serai là
pour te déchirer pour me déchirer les vêtements
mille fois portés pour le désir du corps réel
pour l'usure du regard et l'usage de la peau
dans la faiblesse mutuellement consentie
après l'échange de nos corps je ne me donne pas
je ne me donne plus je te donne et tu n'as rien
comme je n'attends rien de toi mais je sais
que tu sais donner tout donner malgré tes maladresses
malgré tes pauvres cheveux blancs que tu comptes
un à un en travaillant tout en vomissant ton passé
cheveux qui tombent un à un avant de te coucher
dans le lit toujours défait de toutes les défaites
vois regarde tu ne peux plus me dominer
tu ne peux plus me dévorer car ma chair de fer
ne connaîtra plus la misère de vivre dans ta nature
tu peux me mettre mais tu ne peux plus me mettre
à la place de ton choix en arrière toujours en arrière
avec les arêtes et tous les restes froids de la table
de tous les repas de cannibales depuis que tes lois
depuis que tes droits et tes usages du plus fort
parce que je suis l'éternité de cette terre
que tu as salie bafouée humiliée bouleversée
parce que des poteaux parce que des piquets
et de la broche à foin tout autour de mon linge
parce que des chiens attachés avec des dents gâtés
avec juste assez de corde à ronger la liberté de semer
ces graines là où il y a de la terre vierge
et rien que de la terre donnée qui n'attend rien
parce que la faim parce que les lois des ventres vides
qui ont planté par nécessité la différence du désir
je suis cette femme que n'aveugle plus l'indifférence
matérielle je suis cette femme qui te reconduit
avec tes mots à la rigueur de mon corps
pour me servir pour te servir de toi sans asservir
car le regard car la vigueur de cette main sur mon sein
avec le comptoir comme seul usage du réel
avec ce ventre de cognac pour la combustion spontanée
du rire du sourire avec cette tendresse oui cette tendresse
malgré le pourboire qui nous sépare tous les soirs
depuis les jeux impubères de l'école secondaire
et ta nudité me dresse et tes cheveux oui tes cheveux
que je revois roux sur ces vieilles photos jaunies
et tu parles de tes absences de tes silences
de ces cicatrices que la banalité de la souffrance
ponctue pour la grammaire élémentaire de la terre
et tu parles par tes livres et je te tiens tête par mon rire
et tu parles avec des lèvres d'emprunt car je sais ta gêne
car je sais ta confusion déployée pour la séduction
et tu restes là à m'attendre tout penaud dans le labeur
même si le labeur te gratifie de la petitesse de la peur
même si je n'arrive plus à donner pour mieux te libérer
tu restes là à sécher dans l'air conditionné
avec tes livres sous le bras avec le dernier verre de cognac
que je devrai laver avec tes cendres répandues dans mon tray
viens et n'en parle plus viens emprunter tous les orifices
que tu connais depuis le déluge viens à jamais
pour t'évacuer pour m'évacuer ce corps opaque
qui n'a de cesse de durer malgré la dureté du désir
mais je serai devant toi et je répondrai à tes gestes
à tes caresses que par certitude de l'encerclement
que par le retour enfin promis au compromis de la chair