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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Hugues Corriveau, Le Devoir, le samedi 6 octobre 2012.

Surprises, cassures et talents.

Renaud Longchamps continue inlassablement son œuvre féconde avec ses Utopies qui, cette fois, ont le souffle des vers longs, fleuretant avec l'alexandrin, ce qui chez lui, avouons-le, étonne et détonne, mais poursuit autrement le témoignage de sa colère ontologique.

Le ton est pourtant le même, et de même les mots: "Depuis le début du temps et de la matière/nous assumons platement notre pesanteur/pour mieux vivre l'errance et l'interrogation." On a le goût de dire au poète: mais si, mais si, depuis le temps que tu le répètes! Mais quelque chose nous empêche d'être vraiment excédés. Car il y a dans cette obstination musicale de la douleur de l'être, dans cette conscience des vicissitudes de vivre, une sorte de plainte navrée qui monte comme un lamento musical sur le crématoire terrestre.

Il en appelle élégamment à "l'aristocratie de la douleur", cynique, pour accéder à une vague compréhension intuitive de la finalité. Mais oui, cette question presque adolescente qui, lancinante et subversive, hante l'humanité.

Sur près de 150 pages, ce qui n'est pas peu, en de très longs poèmes sinueux, tentaculaires, Longchamps ne craint ni les glauques interrogations ni les constatations pas si loin d'une sorte de dépression fouissant le cœur de l'être: "La terre s'usera et déjà elle disparaît/sans laisser le moindre témoignage/des êtres passés et trépassés qui reposent/sous la pierre ou dans la cendre volcanique/dans les postures mortuaires où jamais/nous ne connaîtrons le repos éternel/où jamais nous ne verrons le plus petit signe/de la victoire toujours attendue sur la mort." On le dit quelques fois, mais là, cœur fragile s'abstenir.

Qu'ajouter de plus, sinon que ce talent-là est absolument indiscutable et que, grand bien nous fasse, si ce poète extrême veut répéter ses coups de gueule contre les farouches manquements de la destinée, il peut bien s'y remettre, car lire ou relire ces lancinants poèmes fracturés par la mort permanente, par la maladie du sens, nous fait toujours un bien fou, un bien qui nous rapproche d'une certaine vérité occultée.

 ***

Utopies, Écrits des Forges/Éditions Henry, 2012, 154 pages.

Renaud Longchamps livre avec Utopies une version poétique de ses réflexions sur le chaos à l'œuvre dans les sociétés humaines, également au cœur de sa suite romanesque Babelle. Après Décimations, une trilogie également parue aux Écrits des Forges, il revient ici à son projet poétique qui tente d'abolir les frontières entre la poésie et la pensée scientifique.

Provocante litanie sur une humanité souffrante en proie à de "cruels assassins prédateurs", Utopies convoque entre autre Platon, Nietszche et Rimbaud en une écriture incantatoire, où l'auteur règle également ses comptes avec la religion, ouvrant sur une dimension humaine insoupçonnée: Paradis futur ou Cité idéale.

 EXTRAITS

 À l'aube nous voyons à l'éveil des êtres imparfaits

qui ne veulent plus se laisser dévorer par la réalité

                                           ***

Ainsi la mécanique quantique donne au super prédateur

le choix d'une seule et unique réalité qui détermine

celle d'une humanité ruminante dans son étable rutilante

qui rêve de paradis où se reposer à la fin de ses jours

où elle se nourrira d'herbes parfumées et de foin fou

où elle s'abreuvera d'eau baptisée à l'ecstasy

du bonheur bas de gamme et de la paix unidimensionnelle

              

                                           ***

Quand la liberté cessera de se reposer

sur les prémisses de la réalité frelatée

elle n'agira plus sur la vie

pour la transformer en tyrannie