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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Hugues Corriveau, Lettres québécoises, numéro 91, automne 1998.

L'étincelle bleue de la détresse. Ou si Caïn aimait, à Toronto ou à New York, comme dans un polar noir.

Le frère ennemi

Sous l'œil de Dieu, s'enfuyant, Caïn repensait à son crime. Renaud Longchamps, avec une logique imperturbable devait y venir. Lui qui prétend ne s'être jamais préoccupé d'humanité, donc d'archéologie, se donnant tout entier à la paléontologie critique, le voici dans son dernier recueil refilant une image biblique. Autre Dieu au-dessus du ciel que ceux déjà pressentis dans les intergalactiques laboratoires des œuvres précédentes. Je le dirai tout net, ce texte est sans doute un des meilleurs Longchamps des dernières années. non pas un Longchamps réconcilié (comment cela pourrait-il être concevable!), mais apaisé, amoureux, s'immisçant dans un sentiment qu'il n'a pas exploité vraiment, soit la tendresse. Cellule familiale à la clé. Dimension cachée du frère, douleur de la trahison, et la femme aimée qui aide à la vie, à l'ouverture et aux sentiments: "Je te souffle à l'oreille qu'il suffit de l'amour/pour combler le vide sidéral/entre nos lèvres" (page 14). Voilà sans doute l'apport le plus beau à cette œuvre déjà immense que cette fragile avancée du côté de l'apaisement. Malgré les malheurs du monde, malgré les affres vécues et les frères et les angoisses, une ouverture se propose au langage. Quand il se met à se confier, une voix nouvelle semble émerger, un peu triste bien sûr, mais qui s'ouvre sur la paix, celle qu'il associe à "l'éternelle chute de[son] corps sur [le] cœur" (page 31) de celle qu'il aime. Ouverture, présence de l'être aimé, précision des visées qui se contentent de la vie, qui en jaugent et en apprécient les données avec cette sévérité de jugement toujours aussi vif, mais sans l'accablement antérieur: "Tout est suspendu/dans le silence relatif//Mon corps revient occuper ses os//Il appartient au temps/et à la nécessité de l'instant//C'est l'automne et je suis déjà nu//Je vis ici/ou là/sans autre choix" (page 71).

Pour qui ne connaît pas l'œuvre de Renaud Longchamps, ce serait peut-être une excellente porte d'entrée pour accéder au reste. Pourquoi ne pas ainsi se donner le dernier mot avant d'aller du côté des premiers? D'autant plus que commence, à l'automne de 1998 aux Éditions Trois-Pistoles, la réédition des œuvres complètes du poète.

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Thierry Bissonnette, Nuit blanche, numéro 72.

Voici un Renaud Longchamps authentique et digne d'attention, dans lequel sensibilité et désir de provoquer s'harmonisent en laissant au passage quelques moments uniques. Un brin rhétorique et d'une mégalomanie latente, le discours de Fiches anthropologiques de Caïn (titre qui m'a laissé perplexe) touche de plus près au poétique grâce à ce qui s'y révèle de spontanéité, à l'économie des moyens mis en œuvre et à la capacité de l'auteur de renouveler l'instant par des phrases toujours en travail, parfois extrêmement pures et lumineuses: "Après la chute/je recueille l'étendue de ton corps/et l'immense maladresse de ma chair". Ce ton honnête et lucide, qui contrebalance des aspects plus éclatants ou agressifs, fait de l'écrivain un iconoclaste beaucoup plus subtil que d'autres Caïn de la poésie québécoise.

Dans une forme qui rappelle le psaume, courtes strophes où se marient détresse et exhortation, l'organisation du recueil se bâtit autour d'une tension entre colère et amour. La nature, n'étant aimable qu'en partie, doit laisser place à une vie appelée et mise en œuvre par un désir mécontent. Cette lutte étant ancrée dans le corps et se diffusant dans les rapports avec la communauté prendra la figure du fratricide qui vient condenser le parcours difficile et inachevable qui est mis en branle. "Ô mon frère/le paradis ne prendra jamais pays//Il est circonscrit à l'espace et au temps [...] Tu ne calmeras jamais la tempête de ton cœur". Reste, dans cette tempête, le versant apocalyptique de la pensée de Renaud Longchamps, entre ressentiment et prophétie, dont on ne sait s'il apporte à la substance du poème. "Né de la colère", ce dernier est du moins destiné à susciter des réactions extrêmes d'agrément ou de désaccord, ce qui en fait un titre majeur pour la petite bibliothèque de poésie de chez Trois-Pistoles.

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Jean-François Crépeau, Le Canada français, le 20 mai 1998, page B-10.

À l'époque où la maison de la poésie québécoise s'était transformée en laboratoire de mots et de formes, les vers de Renaud Longchamps m'apparaissaient comme des pages de quiétude dans un océan trouble. En parcourant les vingt-trois poèmes composant son dernier recueil, j'ai retrouvé le plaisir des mots simples, des images évoquant la beauté du quotidien que l'on s'acharne si souvent à enlaidir. "Le siècle nivelle le jour/et la mémoire des pierres polies/par la nécessité" écrit le poète avec précision et justesse. Il en va ainsi pour tout ce recueil jetant un regard lucide mais non moins lyrique sur la réalité.

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Fiches anthropologiques de Caïn, Éditions Trois-Pistoles, 1998, 85 pages.

Comment agir face à la nature humaine qui nous parle au lieu de nous répondre?

Deviendrons-nous un jour plus grands que les siècles qui nous recouvrent?

Où se situe la vie dans la perpétuelle errance de celui qui doute de son ombre et de la nature de l'ombre?

Autant de questions que l'auteur aborde avec tendresse et lucidité, balayant au passage le babillage propre à l'humanité magique.