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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Hugues Corriveau, Lettres québécoises, numéro 85, printemps 1997.

LONG GLISSEMENT VERS L'AMOUR. Apprendre le calme pour accéder à cette conscience d'être, à cette juste seconde qui dévoile la vérité.

"Je nommerai réalité/la parole inférieure du cœur" (page 7). Voilà un grand recueil que cette Décimation 3: Ataraxie que vient de signer Renaud Longchamps. Toujours envahi par ses anges noirs, le poète tient ici des propos plus résignés devant la fatalité de l'existence. Non pas réconciliation, mais faillite de l'âme plus près de la tristesse, de la langueur, d'un consentement fragile à la poursuite, à la quête, à la radiation. Lui qui, dans ses derniers recueils, avait maille à partir avec les sources les plus lointaines de la création, qui ira même chercher chez des "maîtres" hypothétiques une certaine forme d'explication à la barbarie, à la prédation, à la fatalité de l'attraction sexuelle, bref à tous les travers humains, trouve ici une voix plus apaisée qui semble renouveler le contrat d'existence que le poète a signé avec ses terreurs et ses angoisses. Puisque "le vent [l]'entraîne/à l'atroce procès du vivant (page 33), le poète regarde, étonné, la vitalité relative des êtres:

L'oiseau résume le poids de l'aile

 

Il meurt en vol

sans rien comprendre à l'atmosphère

 

Pourtant

l'oiseau connaît la composition de l'air

et la putréfaction de l'instant   (page 18)

Ce témoignage incisif devant l'ineptie insondable de l'acte de vivre révèle l'aléatoire aventure de l'animé:

De nouveau la mort avance

 

Elle épuise le temps et les vivants

 

De nouveau je suis seul

et je marche dans le sens de la matière

propre à la guerre (page 16)

Pourquoi dis-je qu'il y a ici apaisement? C'est pour souligner la lenteur de cette poésie, son battement oraculaire: "Dans[sa] fuite/[il] regarde sous le cœur/le feu central de l'origine" (page 38). Voilà bien une sobre manière de rallier tous les temps, de se mettre en demeure de savoir le jour premier de la peine, de l'affliction. Boucle fractale qui du recueil au poème se fractionne, cet éternel recommencement lui fait dire que "le cri de l'enfant/prolonge le cri/de celui qui disparaît" (page 45). Seul espoir, "l'énergie de la pensée/et du cœur/suffira/peut-être/à contrer à la fois/le flou et le froid (page 51). Bien mince consolation, direz-vous, mais quand il s'agit de poésie, quand cette façon de se réconcilier mène à de si grands poèmes, à une si radicale affirmation de l'existence qui, de gré ou de force, s'acharne, il y a de quoi se réjouir que la poésie soit porteuse de vie. Renaud Longchamps écrit des textes ni roses ni tendres, mais d'une sorte qui me plaît, qui va creuser la vérité inéluctable d'une parole à jamais insoumise. Beau recueil qui mériterait une attention privilégiée de la part de tous ceux et de toutes celles qui veulent trouver dans le poème une force supérieure, car "cela permet à la passion d'avancer" (page 50).

***

Gilles Côté, Nuit blanche, numéro 67.

Renaud Longchamps signe ici un troublant recueil, une poésie axée sur l'idée de la déperdition d'une humanité dégradée, désintégrée, confuse et que plus rien ne peut émouvoir. L'auteur écrit: "Dans la nuit l'humanité ressemble/à de l'intelligence déchue"; "L'humanité n'habite plus la terre"; "L'humanité piétine/le corps immense et muet de la Terre". Les principaux thèmes exploités gravitent notamment autour de l'idée d'un effritement de la rationalité qui fait de nous des êtres insignifiants, des errants. La mort est souvent évoquée dans ces poèmes incisifs qui portent sur l'épuisement de notre civilisation, de notre culture. Comme chez Gaston Miron, notre existence tant personnelle que collective est chaotique et "agonique", car l'être humain, accablé par la détresse qui frappe un monde inachevé, ignorerait l'effervescence du vivant; il marche directement vers la catastrophe... Renaud Longchamps est peut-être d'une lucidité un peu brutale, mais il nous met face à nous-mêmes et cela, sans faire naître l'espoir d'une éventuelle libération de l'aliénation.

Comme pour ses deux précédents recueils Décimations 1. La fin des mammifères (Écrits des Forges, 1992) et Décimations 2. L'humanité véloce, Écrits des Forges, 1994), nous sommes en présence d'une poésie écrite par un veilleur posté au tréfonds de l'âme humaine, dans la matière qui la constitue: les gènes, les cellules et les neurones. On assiste ainsi à une véritable révélation de la condition humaine, de la barbarie contemporaine et de celle, bien pire, qui est à venir...

***

Claude Filteau, Voix et Images, numéro 66, printemps 1997, pages 625-626.

[...] Même tension dans Décimations 3. Ataraxie de Renaud Longchamps. Le poète voit dans la Terre la Loi de reproduction qui entraîne l'existant dans son sillage aveugle. Accroché à la Terre, l'homme. Et malgré qu'il soit conscient que le temps, que le désir lui appartiennent en propre, l'homme sait qu'il devra se fondre dans la masse terrestre, obéir au cycle de la mort:

Partout la vie recherche la vie

et trouve la nature en travesti

sur des corps à la parole élémentaire

 

Partout la vie épuise

la plus récente énergie

qui reconduit toujours le rituel de la fuite

et de la mise à mort

 

Du côté de la vie droite

il n'y a plus de nombres premiers

 

Que le patient refus de la matière ordonnée

dans le désordre naturel (page 29)

Si l'homme refuse "la nature agonique de ses gènes" (page 25), quelle serait donc la vie qui serait accordée à la Terre? Ce serait peut-être celle dont fait l'expérience l'être nubile:

Plus tard nous relèverons chez le nubile

cette innocence nécessaire

à l'équilibre de la raison

et de la chair

 

Car la vie en équilibre signifie

l'occupation patient et naïve

de l'espace et du temps (page 44)

Mais la vie s'offre dans la matière "habitée par la poussière de mes os":

Tout

ici

est

désordre

de celui qui vit

de celui qui meurt (page 53)

Poésie sans joie mais qui, pourtant, fait encore confiance à l'amour:

Mais avant le retour à l'étoile

je dormirai

par terre

dans la vie entière

tout contre le corps complet

de la femme inachevée (page 52)

Jamais recueil de poésie ne m'aura paru aussi âpre. Refus de toute séduction (entendez de toute description). Refus de tous lyrisme (entendez de tout réenchantement du monde). Refus de toute consolation (entendez du souci de soi).

***

Première édition:

Décimations 3. Ataraxie, Écrits des Forges, 1996, 56 pages.

Deuxième édition:

Dans Oeuvres complètes, Tome 6, Décimations, Éditions Trois-Pistoles, 2004, pages 199-246.

 

Des extraits ont été publiés:

Dans la revue Trois, volume II, numéro 1-2, 1996, pages 51-53.

Dans la revue Possibles, volume 19, numéro 4, automne 1995, pages 151-156.

 

Décimations 3. Ataraxie, Écrits des Forges, 1996, 56 pages.