ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE
Hugues Corriveau, Lettres québécoises, numéro 85, printemps 1997.
LONG GLISSEMENT VERS L'AMOUR. Apprendre le calme pour accéder à cette conscience d'être, à cette juste seconde qui dévoile la vérité.
"Je nommerai réalité/la parole inférieure du cœur" (page 7). Voilà un grand recueil que cette Décimation 3: Ataraxie que vient de signer Renaud Longchamps. Toujours envahi par ses anges noirs, le poète tient ici des propos plus résignés devant la fatalité de l'existence. Non pas réconciliation, mais faillite de l'âme plus près de la tristesse, de la langueur, d'un consentement fragile à la poursuite, à la quête, à la radiation. Lui qui, dans ses derniers recueils, avait maille à partir avec les sources les plus lointaines de la création, qui ira même chercher chez des "maîtres" hypothétiques une certaine forme d'explication à la barbarie, à la prédation, à la fatalité de l'attraction sexuelle, bref à tous les travers humains, trouve ici une voix plus apaisée qui semble renouveler le contrat d'existence que le poète a signé avec ses terreurs et ses angoisses. Puisque "le vent [l]'entraîne/à l'atroce procès du vivant (page 33), le poète regarde, étonné, la vitalité relative des êtres:
L'oiseau résume le poids de l'aile
Il meurt en vol
sans rien comprendre à l'atmosphère
Pourtant
l'oiseau connaît la composition de l'air
et la putréfaction de l'instant (page 18)
Ce témoignage incisif devant l'ineptie insondable de l'acte de vivre révèle l'aléatoire aventure de l'animé:
De nouveau la mort avance
Elle épuise le temps et les vivants
De nouveau je suis seul
et je marche dans le sens de la matière
propre à la guerre (page 16)
Pourquoi dis-je qu'il y a ici apaisement? C'est pour souligner la lenteur de cette poésie, son battement oraculaire: "Dans[sa] fuite/[il] regarde sous le cœur/le feu central de l'origine" (page 38). Voilà bien une sobre manière de rallier tous les temps, de se mettre en demeure de savoir le jour premier de la peine, de l'affliction. Boucle fractale qui du recueil au poème se fractionne, cet éternel recommencement lui fait dire que "le cri de l'enfant/prolonge le cri/de celui qui disparaît" (page 45). Seul espoir, "l'énergie de la pensée/et du cœur/suffira/peut-être/à contrer à la fois/le flou et le froid (page 51). Bien mince consolation, direz-vous, mais quand il s'agit de poésie, quand cette façon de se réconcilier mène à de si grands poèmes, à une si radicale affirmation de l'existence qui, de gré ou de force, s'acharne, il y a de quoi se réjouir que la poésie soit porteuse de vie. Renaud Longchamps écrit des textes ni roses ni tendres, mais d'une sorte qui me plaît, qui va creuser la vérité inéluctable d'une parole à jamais insoumise. Beau recueil qui mériterait une attention privilégiée de la part de tous ceux et de toutes celles qui veulent trouver dans le poème une force supérieure, car "cela permet à la passion d'avancer" (page 50).
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Gilles Côté, Nuit blanche, numéro 67.
Renaud Longchamps signe ici un troublant recueil, une poésie axée sur l'idée de la déperdition d'une humanité dégradée, désintégrée, confuse et que plus rien ne peut émouvoir. L'auteur écrit: "Dans la nuit l'humanité ressemble/à de l'intelligence déchue"; "L'humanité n'habite plus la terre"; "L'humanité piétine/le corps immense et muet de la Terre". Les principaux thèmes exploités gravitent notamment autour de l'idée d'un effritement de la rationalité qui fait de nous des êtres insignifiants, des errants. La mort est souvent évoquée dans ces poèmes incisifs qui portent sur l'épuisement de notre civilisation, de notre culture. Comme chez Gaston Miron, notre existence tant personnelle que collective est chaotique et "agonique", car l'être humain, accablé par la détresse qui frappe un monde inachevé, ignorerait l'effervescence du vivant; il marche directement vers la catastrophe... Renaud Longchamps est peut-être d'une lucidité un peu brutale, mais il nous met face à nous-mêmes et cela, sans faire naître l'espoir d'une éventuelle libération de l'aliénation.
Comme pour ses deux précédents recueils Décimations 1. La fin des mammifères (Écrits des Forges, 1992) et Décimations 2. L'humanité véloce, Écrits des Forges, 1994), nous sommes en présence d'une poésie écrite par un veilleur posté au tréfonds de l'âme humaine, dans la matière qui la constitue: les gènes, les cellules et les neurones. On assiste ainsi à une véritable révélation de la condition humaine, de la barbarie contemporaine et de celle, bien pire, qui est à venir...
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Claude Filteau, Voix et Images, numéro 66, printemps 1997, pages 625-626.
[...] Même tension dans Décimations 3. Ataraxie de Renaud Longchamps. Le poète voit dans la Terre la Loi de reproduction qui entraîne l'existant dans son sillage aveugle. Accroché à la Terre, l'homme. Et malgré qu'il soit conscient que le temps, que le désir lui appartiennent en propre, l'homme sait qu'il devra se fondre dans la masse terrestre, obéir au cycle de la mort:
Partout la vie recherche la vie
et trouve la nature en travesti
sur des corps à la parole élémentaire
Partout la vie épuise
la plus récente énergie
qui reconduit toujours le rituel de la fuite
et de la mise à mort
Du côté de la vie droite
il n'y a plus de nombres premiers
Que le patient refus de la matière ordonnée
dans le désordre naturel (page 29)
Si l'homme refuse "la nature agonique de ses gènes" (page 25), quelle serait donc la vie qui serait accordée à la Terre? Ce serait peut-être celle dont fait l'expérience l'être nubile:
Plus tard nous relèverons chez le nubile
cette innocence nécessaire
à l'équilibre de la raison
et de la chair
Car la vie en équilibre signifie
l'occupation patient et naïve
de l'espace et du temps (page 44)
Mais la vie s'offre dans la matière "habitée par la poussière de mes os":
Tout
ici
est
désordre
de celui qui vit
de celui qui meurt (page 53)
Poésie sans joie mais qui, pourtant, fait encore confiance à l'amour:
Mais avant le retour à l'étoile
je dormirai
par terre
dans la vie entière
tout contre le corps complet
de la femme inachevée (page 52)
Jamais recueil de poésie ne m'aura paru aussi âpre. Refus de toute séduction (entendez de toute description). Refus de tous lyrisme (entendez de tout réenchantement du monde). Refus de toute consolation (entendez du souci de soi).
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Première édition:
Décimations 3. Ataraxie, Écrits des Forges, 1996, 56 pages.
Deuxième édition:
Dans Oeuvres complètes, Tome 6, Décimations, Éditions Trois-Pistoles, 2004, pages 199-246.
Des extraits ont été publiés:
Dans la revue Trois, volume II, numéro 1-2, 1996, pages 51-53.
Dans la revue Possibles, volume 19, numéro 4, automne 1995, pages 151-156.
Décimations 3. Ataraxie, Écrits des Forges, 1996, 56 pages.