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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Stéphane Lépine, Nos Livres, volume 14, octobre 1983.

"Combien savent, ici et toujours d'ici, que Renaud Longchamps est le nom d'un poète et que ce poète écrit, quelque part dans la Beauce, une œuvre assez originale pour ébranler une bonne partie de la poésie québécoise (et française)?" (1)

Ce recueil, dédié "aux chercheurs immobiles et patients", se constitue en un mouvement ininterrompu d'oppositions, mouvement dont le souffle vital permet de lutter contre la décomposition historique ou la stagnation. Miguasha impose une anthropologie sociale, culturelle, poétique, bien ancrée dans une conscience d'aujourd'hui. Parallèlement à une désagrégation de la matière et des structures ("comme une pierre friable"), à une dissociation mentale de la personnalité et du moi, Renaud Longchamps scrute le rapport qu'entretiennent les êtres avec le milieu et combat la "biologie de l'usure": "je peinerai alors patient/sur mes restes à reconstituer".

Un sentiment terrible de division, d'effritement ("parle sur le sel/ce que glaise/préalable du sable"), d'effondrement même ("ne pourrai me grandir du suivant de mes restes"), amène le poète à crier tragiquement la perte d'une présence entière et unifiée, la fragmentation ressentie depuis "trois cents millions d'années". Incapable d'une pensée déguisée, d'une quelconque feinte, il n'y a que le corps de l'autre qui offre un certain espoir de réconciliation avec la matière ("gaine mon gland de sa perte")... L'union avec l'autre, quoique utopique, inscrit le désir ("dans la craie") de combattre la dégradation de la pierre fondatrice. Mais le temps semble inexorablement s'écouler vers sa propre perte, jusqu'à l'épuisement de lui-même: "j'évolue par habitude de corps à la solitude"...

Ce choix de textes réunis sous le titre de Miguasha ne manque pas d'étonner le lecteur. Un formalisme nouveau, tout empreint d'un lyrisme objectif, une réflexion théorique qui permet à l'écriture de se repenser continuellement elle-même, une composition d'ensemble d'une parfaite rigueur, tout nous permet de croire en la découverte d'un recueil important et en la reconnaissance d'un très grand poète.

(1) Michel Gay, Cent pages imaginaires, La Nouvelle barre du jour, numéro 120, décembre 1982, page 58.

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Pierre Nepveu, Le Devoir, le samedi 26 novembre 1983, page 19.

Miguasha de Renaud Longchamps est paru il y a déjà quelques mois, chez VLB, en coédition avec Le Castor astral, maison d'édition française qui a déjà publié d'autres poètes québécois, dont Lucien Francoeur, ainsi qu'une anthologie 80 consacrée à la poésie française, belge et québécoise contemporaine.

Il faut au moins signaler, même en retard, ce recueil: Longchamps est un acharné, il a une idée fixe, la matière. C'est ce qui fait sa force.

Qu'en est-il du sens, de la durée, dans un univers purement matériel? Cette poésie à la fois philosophique et très incarnée, abusant parfois de l'ellipse mais pour éviter le bavardage, ne laisse pas indifférent.

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Robert Yergeau, Lettres québécoises, numéro 31, automne 1983, page 73.

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Miguasha se présente comme une sorte de reconstitution mnémonique de l'univers: petit traité poétique de cosmogonie. Divisé en deux parties - la première porte le titre même du recueil tandis que la seconde s'intitule "Quatre-vingts propositions de l'évolution" - Miguasha, c'est l'être qui (se) pense dans la réverbération de sa propre conscience réflexive; c'est l'être qui, par métempsychose, devient sa propre structure anthropologique. Miguasha c'est une sorte d'ontogénèse historique, voire de traité ontologique de la matière: "je me meurs de toute matière"; cette "matière dévorante d'elle-même" où n'existe "rien d'autre que la matière". Ce livre se présenterait finalement comme une admirable plongée de la matière dans la matière, de l'être dans l'être, de l'évolution dans l'évolution, de la conscience dans la conscience.

Utilisant à satiété l'ellipse comme procédé rhétorique, disloquant les conventions grammaticales, Longchamps veut "retracer les sens", en arriver au "dépouillement de la glaise", faire le compte de "ces plaies anciennes", "danser dans (ses) cendres, consentir à "l'effort nu de (sa) peau", peiner, "sur (ses) restes à reconstituer" et, finalement, "avancer avec sa mort".

Avec ce recueil, le lecteur se retrouve en face de multiples pistes d'essai: examinons-en quelques-unes. Il y a, en premier lieu, cette préoccupation fondamentale axée sur la durée. L'auteur veut "parier sur la durée"; il est lui-même durée dans la durée: "temps qu'importe/millions d'années dans cette langue". Mais il n'est pas sans savoir qu'il devra "payer pour la durée" et ce prix à payer nous devons le chercher, semble-t-il, du côté du pourrissement car, évolution oblige, l'on pourrit avec prodigalité dans Miguasha: "la moitié pourrissante de ma chair"; "l'indifférence matérielle sinon/pourrir par la petite porte"; et cette interrogation qui n'est pas dénuée d'intérêt que soulève l'auteur: "étaient donc et sommes-nous encore/au point d'obéir à ce pourrissement". Enfin, de constater Longchamps, "dans l'étalement je pourris à point".

Miguasha, c'est également un appel aux pères, aux géniteurs: "pères inertes et l'absence/l'habitude de soi je sais/vif de sa sève" ou "pour cent pères j'en viens à ma perte" proclame l'auteur, ce qui ne l'empêche nullement d'écrire: "je m'avance et le père parle".

Miguasha, c'est le recours au Tu, à l'autre: la fusion de Je et du Tu comme moment de la conscience évolutive. Ce Tu, porteur d'abîme: "ma perte que tu portes sur les cils inférieurs de l'œil" et qui "coule dans la durée coagulée". Et ces "plongées" dans un "corps autre" donnent l'occasion à Longchamps d'y aller de quelques vers de la meilleure venue qui soit: "s'accoupler pour quoi pour cette disposition de la cendre dans le débat".

Certes on peut chicaner l'auteur pour l'emploi un peu facile de certains paronymes du genre: "je sortirai de l'état avec éclat" ou encore "les lacunes de la lagune"; et sur cette volonté par trop manifeste de vouloir faire vraisemblable en émaillant son recueil de termes propres à la géologie - crétacé, cambrien, dévonien. etc. - ce qui nous donne l'impression curieuse d'être en classe de paléontologie. Mais ce ne sont là que des peccadilles devant l'ensemble du livre qui m'apparaît comme une très belle réussite: un "exercice" probant des possibilités qu'offre le matériau "poésie" confronté à la conscience immanente de l'univers.

Pour terminer, disons quelques mots sur les "Quatre-vingts propositions de l'évolution" que formule Longchamps dans la deuxième partie de Miguasha. Les préoccupations de l'auteur semblent se porter davantage - quoique nous les retrouvions à un degré moindre dans la première partie - sur l'univers. Encore là, notons le pouvoir évocateur - ce qui n'est pas la moindre qualité de ces textes - de certains vers qui se présentent comme autant de formules incantatoires: "À froid ce que vomit l'univers"; "je sais ma perte à même l'univers".

Longchamps, dans les dernières pages de Miguasha, écrit qu'il "risque l'inscription", qu'il "écrit l'accumulation". "Je m'effrite, je critique ma présence", dira-t-il lucidement.

Miguasha: essai réussi sur l'univers revisité.

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Philippe Haeck, L'exigence fragmentaire, Spirale, numéro 40, février 1984, page 6.

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"Pareil à une petite œuvre d'art, un fragment doit être totalement détaché du monde environnant, et clos sur lui-même comme un hérisson(1)." Il me semble que j'ai toujours aimé les fragments sans doute parce que j'ai toujours su que j'étais un fragment plutôt qu'une totalité, peut-être aussi par paresse n'ayant guère le goût de me perdre dans de longs ouvrages qui pourraient se réduire à quelques aphorismes, enfin parce qu'ils me donnent à penser et à rêver: leur concentration me donne envie de me poser des questions. Il faut avoir un esprit curieux pour s'adonner à la lecture de poèmes-fragments: un tel esprit ne demande pas qu'on lui donne du tout cuit, il apprécie le cru et le nu qui ont pour lui l'attrait du sauvage et de l'infini.

Miguasha est composé de deux cents propositions: cent de trois vers, cent de deux vers comme les Quatre-vingts proposition de l'évolution. [...] Le métier de Longchamps est rigoureux: chaque fragment existe en lui-même, a du nerf, pas de facilité. Tout se joue autour de l'élémentaire - les ères géologiques, la matière, le sel, le sexe - et du philosophique - le père, le rire, le couple, la perte -. Renaud Longchamps est un (poète) naturaliste qui dit en souriant: "Nous sommes prisonniers de l'univers."

Un petit cadeau théorique pour finir: qui pratique le fragment - ou le vers ou le poème; c'est la même chose - doit pratiquer "l'économie inhubérante", la boule du hérisson dont tous les poils piquent le monde contigu; qui pratique le roman - ou la prose; c'est la même chose - doit pratiquer la dépense exubérante, la danse de l'ours dont la fourrure caresse l'univers. C'est pourquoi il n'y a que fragments critiques et romans d'amour - le travail de Renaud Longchamps est de ce point de vue exemplaire: allez lire Anticorps (poèmes 1972-1978) et Babelle 1. Après le déluge (roman).

(1) Fragment anonyme de la revue Athenaeum des frères Schlegel, cité dans L'Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand (Éditions du Seuil, 1978) de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy.

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Bernard Gilbert. Intervention, numéro 21, hiver 1983, pages 49-50.

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Miguasha, paru quelques mois après Anticorps, poèmes 1972-1978, est plus engagé encore dans cette voie. Site de Gaspésie où se trouve une concentration exceptionnelle de fossiles datés de l'âge des poissons (environ 400 millions d'années), Miguasha est l'occasion pour Longchamps de questionner les structures mêmes de la matière. De la cellule au social; du fossile au désir et à l'univers. L'écriture emprunte des formes très strictes, les textes sont courts, Mais le sens glisse continuellement, refusant les évidences, la science, produisant du hasard à travers la nécessité.

Ce qui apparaît dans ce livre comme essentiel, qui lie ces paradigmes: l'inscription prégnante de l'entropie.

"La vie fonctionne à la température de la destruction de sa propre structure" (K.S. Trincher). Pont de départ du livre, cette épigraphe en est une référence constante. L'évolution, fragmentée, lieu du rien et de tout, ne peut empêcher son autoconsommation. On lit alors les blessures, les conflits, la perte. L'existence recueille son salaire où se dispersent nos énergies. L'Histoire, confrontée à sa disparition, ne survit pas par ses pratiques économiques ou symboliques, plutôt par son banal état de matière.

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 Avis aux bibliophiles et aux collectionneurs! Suite à une erreur de la nouvelle direction de VLB Éditeur, presque toute la première édition a été détruite. On estime à moins de cent cinquante les exemplaires en circulation de l'édition québécoise. Heureusement, l'édition française n'a pas été affectée par ce malencontreux impair.

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Première édition:

Miguasha, VLB Éditeur/Le Castor Astral, 1983, 104 pages.

Deuxième édition:

Dans Oeuvres complètes, Tome 3, Évolutions, pages 127-219.

 

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Des extraits ont été publiés:

Dans la revue Hobo-Québec, numéro 46-47, automne-hiver 1981, page 4.

Dans la revue Vagabondages, "Poésie québécoise", numéro 66, janvier-mars 1987, pages 61-62.

Dans la revue Maison de la poésie, numéro 2-3, 1988, page 68.

Dans l'anthologie Brise-lames/Antemurale, antologia della poesia moderna dal Québec, traduction de Cesare Milanese, Bulzoni Editore, 1990, pages 239-247.

Dans la revue La Nouvelle Barre du Jour, numéro 96, novembre 1980, pages 7-10.

Dans la revue Hobo-Québec, numéro 44-45, printemps-été 1981, pages 29-36.

Dans la revue Jungle, numéro 6, 1983, pages 53-54.

Dans la revue L'Ivraie, numéro 3, 1983, pages 71-72.

Dans l'anthologie Le Québec en poésie, Collection folio junior en poésie, Gallimard/Lacombe, 1987, pages 171-173.

Dans l'anthologie La poésie québécoise contemporaine, L'Hexagone/La Découverte, 1987, pages 171-173.

Dans la revue La Nouvelle Barre du Jour, numéro 223-224-225, mars 1990, pages 297-298.

 

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Ici tout s'oppose: lyrisme versus formalisme, la vie et l'inertie, la signification et la non-signification. Un seul mouvement, un souffle vital hors de l'histoire grégaire, de la morne nature et du rituel culturel. Miguasha est surtout une écologie libérée de son contenant, de son environnement. Ce qui s'y joue, c'est la vie, et la seule vie, à la fois biologique et chimique. La vie comme maladie de la matière.

 

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Miguasha, VLB Éditeur/Le Castor Astral, 1983, 104 pages.