La version de votre navigateur est obsolète. Nous vous recommandons vivement d'actualiser votre navigateur vers la dernière version.

Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

 ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Paul Chanel Malenfant, Voix et Images, numéro 48, printemps 1991, pages 555-556.

Aucune concession transcendantale ou spiritualiste dans le rigoureux recueil de Renaud Longchamps, L'Échelle des êtres, lequel poursuit, en un langage d'une rare gravité, ce travail de "sommation" sur la matière qui tient lieu du projet global de cette œuvre et qui culminait déjà dans son précédent livre, Légendes suivi de Sommation sur l'histoire. À juste titre, ce recueil avait mérité, en 1989, le prix Émile-Nelligan. Il faut, pour entrer dans l'univers suffocant de ce poète, un certain courage, voire de l'ascèse. Car ici, nulle issues existentielle ni embellie poétique. Toute substance est indifférente, tout mouvement est vain. C'est la gravité: elle gravite/dans la complète ignorance de la solitude (page 15). Le lecteur se trouve confronté au choc des évidences implacables, comme magnétisées les unes par les autres, érigées contre le vide. Lisons la suite: Je vis/et ça résout rien (page 16); La vie disparait/avant votre présence (page 17); Pour l'éternité/vous imaginez un mur/et son vide vertical (page 19); Mais le vide détermine la matière du vide! (page 21)... Irrésistible force de la redondance, ces aphorismes s'installent dans la mémoire; l'idée se fixe à elle-même devant l'hébétude du monde: Le présent avait trop de présence (page 30).

Pourtant la poésie conteste cet être là nauséeux des choses: L'univers serait l'anomalie/un trou pour le ver distrait du fruit (page 68). Elle refuse l'usure qui s'épuise à l'usure et la rétention des matières sur elles-mêmes. Mais déserte pour le vent/déserte et tu verras l'espace/revenir à l'espace/du vent (page 18). Elle s'insurge contre l'incompétence de l'histoire: et persiste l'histoire/inférieure à la vie (page 34), contre l'anomalie de la nature: Le fruit se fane. C'est la première inconduite (page 35). Mais nous sommes ici dans l'impossible "écologie du réel" puisque l'univers est un lieu d'effritement et de dissipation. En des temps de retour à des valeurs rassurantes, la pensée de Renaud Longchamps, malgré le défaitisme scientifique et historique qu'elle côtoie, me paraît nécessaire. Elle propose une pressante éthique de l'état d'alerte et de la légitime défense: J'irai vers la vie/dépouillée de la nature/Elle est ombre/et sans ombre tu ploies sous le poids/du nombre (page 61).

***

Jean-Éric Riopel, Sur la trace des dinosaures, La Poésie au Québec, revue critique 1990, Écrits des Forges, pages 91-92.

La poésie a l'habitude de graver son souffle dans la pierre, mais ici, c'est le fossile qui laisse sa trace en poèmes. L'Échelle des êtres est une descendance de Miguasha et de Le Désir de la production, mais ne clôt nullement cette évolution qui dépend du travail de la pensée qui se meut perpétuellement. C'est une véritable quête biologique que nous livre Renaud Longchamps, archéologue terrestre, visionnaire de l'absence et vulgarisateur poétique.

D'énoncés, l'auteur essaie de cerner la réalité de notre espèce: "Vous monnayez l'équilibre/entre l'échelle et les êtres/entre les photons virtuels/et la constante de la chair" (page 39). C'est notre trajectoire qui est sans cesse soupesée car "Seule la fuite épuise le réel" (page 17); nous somme un monde de passage: "Ne recommencez pas le mouvement/il consiste à demeurer entre/deux atomes qui s'installent" (page 18).

Sous l'apparence imperturbable du cycle géologique se cache la suprématie de l'absence sur le temps: "Une fleur se courbe/au temps//Elle périt pour la pierre/pleine de l'instant" (page 53). Seule l'immobilité survit, l'homme éphémère se console en croyant à l'illusion de la durabilité, mais le développement de notre monde nous donne le choix de ne pas en être dupe: "Aujourd'hui vous me pressez à être/avant la présence impérieuse du vide" (page 36). C'est de notre naissance que se confirmerait notre extinction: "Devant chaque ventre/votre mère/installe l'habitude du néant" (page 73).

Car c'est vers cette mort planétaire "Perte, planète" (page 54) que notre espèce viendrait briser son lent mouvement de métronome: "Bientôt l'inconnu aura l'inclinaison/de la certitude" (page 39), "Sous la chair/et la plaie ouverte/se referme un cercueil" (page 58), "La mort fixe l'espèce (page 76).

Les mots toujours judicieux de Renaud Longchamps n'alourdissent pas inutilement les propos déjà empreints de gravité. Ce n'est pas non plus une démarche ou une vision opportuniste de notre époque qui se veut "écologique", mais le regard lucide d'un réalisme qu'il faut maîtriser aux dépens de "l'arme sous le cerveau (page 40). Le dernier volet du recueil, Retour à Burgess, est d'une facture plus agressive, secouante, le rythme y est accéléré peut-être pour nous montrer que l'aventure terrestre de l'humanité peut se désagréger encore plus vite qu'on pourrait vouloir le croire, peut-être tantôt ou peut-être demain.

Ce livre tâche de nous faire remonter le cours de la vie par la nature de notre corps, parce que c'est ce corps qui compose l'espèce et si nous tentons d'apprivoiser le corps, nous nous penchons plus rarement sur la finalité de notre espèce.

***

 Avis aux bibliophiles et aux collectionneurs! Suite à une malencontreuse erreur de la direction de VLB Éditeur, presque toute la première édition a été détruite. On estime à moins de cent les exemplaires en circulation.

 

                                          ***

 Première édition:

L'Échelle des êtres, VLB Éditeur, 1990, 80 pages.

Deuxième édition:

Dans Oeuvres complètes, Tome 5, Propositions, Éditions Trois-Pistoles, 2003, pages 127-184.

 

                                          ***

 Des extraits ont été publiés:

Dans la revue Poetic Journal, numéro 8, 1989, Berkeley, California, page 112.

Dans la revue LittéRéalité, volume 1, numéro 2, automne/fall 1989, Atkinson College, York University, pages 194-196.

Dans la revue Estuaire, numéro 56, printemps 1990, pages 7-11.

Dans l'anthologie Les Gens du fleuve, Éditions Stanké, 1993, pages 175-178.

 

                                           ***

 Le poème Poussière, extrait de L'Échelle des êtres, a été mis en musique par le compositeur Jacques Desjardins. L'oeuvre a été présentée le mardi 8 juin 1993, à la salle Redpath de l'Université McGill, lors d'un concert intitulé Trois voix chanteras de l'Ensemble Contemporain de Montréal avec l'Ensemble Vocal de l'Orchestre symphonique de Montréal (Iwan Edwards, directeur artistique) sous la direction de Véronique Lacroix.

 

                                            ***

 "Je suis en poésie parce la vie est insuffisante", affirme l'auteur. Après Le Désir de la production, après Miguasha, Renaud Longchamps nous propose le troisième volet des Géologiques, cycle dans lequel il explore les failles biologiques de la nature terrestre.

Conservation, reproduction, cris et contraintes, ordre et chaos ponctuent le rituel de la sexualité et de la prédation. Depuis trois milliards d'années, la vie nous impose sa loi.

Le poète peut-il s'évader de l'espèce?

 

                                             ***

L'Échelle des êtres, VLB Éditeur, 1990, 80 pages.