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Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

Michel Lapierre, Le Devoir, les samedi 17 et dimanche 18 février 2007, page F-4.

Longchamps, le poète des choix. L'auteur des Confessions négatives se voit comme un poète de la vie isolé parmi les poètes de la mort.

On croix rêver! Si à Hérouxville, en Mauricie, des xénophobes adoptent des normes obscurantistes et farfelues, à Saint-Éphrem-de-Beauce, au contraire, un poète éclairé cultive le paradoxe dans un raffinement inspiré de la physique quantique. [...]

 "Dieux existe/mais il n'est pas réel/car la réalité est une cendre salissante", écrit le poète beauceron Renaud Longchamps dans L'Humanité véloce (1994), l'un de ses plus beaux livres. Je demande à cet incroyant si, en jonglant avec les contradictions, il ne cherche pas à exprimer une attirance secrète pour les choses immatérielles.

Longchamps me répond: "Je suis un mystique matérialiste. Vous me direz qu'il s'agit, là encore, d'un oxymoron. Mais la contradiction apparente se résout si l'on tient compte de la physique des quanta". En l'écoutant, je comprends que la pensée d'un poète authentique doit être sans cesse en mouvement et que la mobilité des réflexions suppose l'omniprésence du paradoxe.

À la suite des travaux de Max Planck, la théorie quantique n'a-t-elle pas montré que la nature elle-même est paradoxale? En définissant la discontinuité physique, les quanta d'énergie signifieraient que le vide est à la fois le contraire et le cœur de la matière.

Lorsqu'on compare L'Humanité véloce et le dernier livre de Longchamps, Confessions négatives (2005), à ses textes des années soixante-dix, on se rend compte que le Beauceron est passé d'une poésie fragmentaire et allusive à une forme beaucoup plus soutenue qui aboutit à une véritable poésie du discours. "Tout s'explique, me dit Longchamps, par l'évolution du mouvement de la pensée. Après l'étude poétique de l'infiniment petit, j'en suis venu à l'exploration poétique de l'infiniment grand."

Cet itinéraire étourdissant lui a permis de surmonter toutes les contradictions avec sérénité, comme en font foi, dans L'Humanité véloce, des vers qui figurent parmi les plus profonds de la poésie québécoise: "Le chant intérieur du créateur/assure sa survie//Dans ses mots/la beauté est irréductible/à l'homicide involontaire de la naissance//Entre ses mains/je serai sauvé." Élever la poésie au-dessus de la vie au point d'associer la naissance de l'homme à un meurtre inconscient, cela nécessite un parti pris fulgurant dans la vision de la réalité.

Le poète me confirme l'importance de ce choix arbitraire en manifestant une grande souplesse intellectuelle: "On ne voit que des états de l'univers. Lorsqu'on interprète les choses, il faut donc faire un choix."  [...]

 Poète de la vie

La lecture attentive de l'œuvre corrobore de tels propos: "Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison." Voilà une pensée de Pascal que Longchamps a placée en tête des Confessions négatives. En plus de nous aider à saisir le sens du recueil de poèmes, elle résume parfaitement une attitude fondée sur la clairvoyance et la modération.Seule une appréciation équilibrée du rationnel et de l'irrationnel qui composent l'univers nous permet de faire des choix audacieux dans l'immensité du réel et de faire nôtre l'une des "confessions négatives" du poète: "L'univers n'existe pas/si je ne le regarde pas." Dès lors, il nous semblera naturel de partager la musique intérieure de Longchamps en nous adressant, comme lui, à l'âme sœur: "Hors de notre amour/l'univers est aveugle."

Pour le poète, l'imperfection, en particulier celle de l'amour durable, est la source même de la réalité. Le mystique matérialiste ne craint pas d'affirmer: "L'amour n'est jamais parfaitement partagé/sinon l'univers cesserait d'exister."

En lisant la poésie québécoise récente, Renaud Longchamps se voit comme un poète de la vie isolé parmi les poètes de la mort. Malgré tous les oxymorons imaginables, son œuvre unique ne saurait sur ce point le contredire.

***

Jacques Paquin, Lettres québécoises, printemps 2006, page 42.

Se confesser à voix forte

Renaud Longchamps est un poète fascinant. Ou plutôt intrigant. Son œuvre oscille entre un discours à forte teneur lyrique et un intérêt marqué pour les prospections à caractère scientifique.

Ce prolifique poète propose des textes qui sont toujours chapeautés par des constats négatifs du genre "Nous ne savons pas marcher" ou "Je ne sais pas lire la lumière". Curieusement, le premier s'intitule "Première confession", mais le lecteur a l'impression que les poèmes suivants en constituent la suite logique. De fait, l'ensemble développe la matière de cette première confession dont l'éditeur nous annonce une suite en deux volets. L'intitulé ne doit pas nous leurrer car, avec Longchamps, les références intimistes sont plutôt réduites. L'auteur de Décimations possède une vision trop cosmique, trop ancrée dans une surconscience de l'univers pour s'intéresser aux détails de sa propre personne. Ce serait plutôt du genre:

L'univers nous regarde

froidement

et tourne

lentement

tandis que tu vas

et que tu viens

sur mon ventre rempli des premières étoiles (page 35)

Dans un style qui m'est apparu tenir plus de l'argumentation que de l'aveu, le poète établit des comparaisons défavorables entre le mouvement du monde cosmique et le parcours de sa propre vie. Il s'avère que la sienne, comme celle de l'humanité entière, est fatalement dominée par les "mots de la mort", expression récurrente de son désarroi et du regard pessimiste qu'il pose sur nous, nous qui "resterons à jamais/ces pauvres errants aux pas/toujours plus lourds que l'air/ces éternels étrangers à l'éternité" (page 42). Ce qu'on considérait comme une confession prend rapidement la forme d'un sombre constant que ne dément aucun des poèmes, bien que le poète nous donne parfois une éclaircie, notamment quand il s'adresse à une destinataire qu'on soupçonne être sa compagne. J'ai dit plus haut que Renaud Longchamps était un poète intrigant. Ou plutôt: fascinant. Jusque dans ses défauts mêmes. Pourquoi ai-je lu le recueil d'une traite, malgré les redites (mais peut-être bien aussi à cause d'elles), malgré cet entêtement dans le défaitisme planétaire, malgré cette pudeur qui n'en finit plus de vouloir montrer et ce discours moraliste qui traverse tous les recueils? Je crois que la réponse vient d'une résistance. Inaliénable, droite, insistante: le refus de mourir sans amour. Alors que la confession suggère le murmure et le chuchotement, à moins qu'elle ne soit publique, la voix de Longchamps m'est apparue comme l'expression d'une clameur contre la terre qui terrorise les hommes, contre l'humanité qui contraint à la mort. Ce recueil, qui balance entre les deux excès désignés par Pascal en épigraphe ("exclure la raison, n'admettre que la raison"), frappe par son pouvoir de conviction et une grande sollicitude:

Nous quittons nos corps affamés

tout en mordillant les branches mortes

qui ébrèchent le silence

Loin des feuilles égarées dans les sous-bois

tu ajoutes ta parfaite nudité (page 60)

Une conviction qu'on peut qualifier, oui, d'intime et de touchante.

***

Confessions négatives, Éditions Trois-Pistoles, 2005, 70 pages.

 

Extrait:

Hors de notre amour

l'univers est aveugle

 

Hors de ton amour

il ne peut plus nous regarder

 

Si tu fermes les yeux

la nuit ne viendra pas

car la nuit est là

partout

où l'univers nous ressemble

où l'univers nous rassemble