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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Gilles Toupin, Pour simple sujet, les mouvements de l'écriture, La Presse, le samedi 23 mars 1985.

La Nouvelle Barre du Jour (nbj) a publié quatre numéros, en janvier dernier, réservés aux abonnés. Ces "numéros-auteurs" se signalent non seulement par la qualité des textes mais par une présentation graphique exemplaire inspirée de l'art moderne. ce travail visuel est celui de Louise Anaouil.

 [...]

tu seras aboli

sous l'amas aboli

la veille que la matière

distrait

Ce sentiment de la destruction, du néant et de l'entropie, Renaud Longchamps l'exprime depuis une bonne douzaine d'années avec des petits vers synthétiques, dépouillés, avares de périphrases et d'épanchements. Anomalies est de cette même quête: la matière dans ses mouvements, le corps et sa vulnérabilité, l'univers et l'"abondance" de ses manifestations apparaissent, dans ce traité qui tient à la fois de la physique et de la métaphysique, comme de vastes illusions. La langue est économe, moderne, évocatrice, ramenée au soupçon essentiel

déplacement

pour écrire

maladroit

les bris

***

Daniel Guénette. n.d.

 

Extrait de Vie, Matière et Observation, ouvrage de Brillouin, un exergue - où il est dit entre autres choses que l'"erreur nulle" à laquelle rêve le mathématicien "entraînerait une information infinie" -, paraît s'offrir comme clef. En tout cas, il souligne à l'avance certains mots du recueil en nous laissant penser qu'ils n'y sont pas employés à la légère, et qu'on doit peut-être, pour mieux comprendre Anomalies, les entendre dans les sens que leur confèrent ceux et celles qui, pour appréhender le monde, les pèsent bien et les utilisent avec prudence. Espace, temps, matière, lumière, univers, masse, gravité, attraction, inertie et fraction - pour ne mentionner que ces termes -, sont en effet fortement connotés; mais, bien, sûr, pas exclusifs aux discours scientifiques.

À première vue, Anomalies nous entraîne assez loin des sujets les plus fréquemment traités en poésie. Mais serait-ce là une impression uniquement due au lexique employé par Renaud Longchamps? En fait, le poète n'invente pas de nouveaux sujets, mais il parle des plus usuels, de si près ou de si loin qu'ils nous deviennent en quelque sorte étrangers quand, réduits à leur principe même, ils nous sont présentés:

de l'inertie se relèvent

quelques adhérences aussitôt

confondues: matière

Ce poème, sorte de haïku (notons que dans Anomalies le verbe est toujours aussi dépouillé) montre assez que le phénomène observé accapare moins l'attention du poète que la loi ou l'information qui peuvent en découler. C'est-à-dire que là où d'autres choisissent des sujets qui semblent en soi poétiques, Longchamps entreprend d'écrire, à partir de leur décantation, une manière de "lecture de la matière" elle-même. Par exemple, la cinétique dans la démarche de l'auteur l'emportera sur la "belle peinture" de l'albatros en vol et les considérations "philosophiques" auxquelles symboliquement l'oiseau pourrait donner lieu.

Alors "logos" sans "mythos", ai-je d'abord cru. Puis "logos" sans "logos" m'est venu. Car ce discours à première vue ne me semblait pas poétique en soi, procédant, me disais-je, d'un autre mode, d'une attitude qui à la limite exclurait l'attitude poétique. En fait, un certain savoir informe ce discours, mais la "science" sur quoi il se fonde n'est pas rendue comme telle. Un autre savoir, celui précisément du langage poétique, la vient déformer ou en tout cas reformuler.

Ainsi la poésie, parce qu'elle n'explicite pas ses objets, laisse-t-elle la plupart du temps flotter en nous des incertitudes quant aux sens qu'elle propose. En pareil cas, lire ne suffit jamais qui n'implique un travail d'analyse. Lequel travail, on le sait, en dernier recours souvent, se résout en une sorte de rêverie, où s'achève dans l'abandon du texte pour cause de déception. Avec Anomalies, on aurait franchement intérêt à ne pas déclarer trop vite forfait.

***

Des extraits ont été publiés:

Dans la revue Dalhousie French Studies, "La Poésie québécoise depuis 1975", pages 132-134.

Dans la revue La Nouvelle Barre du Jour, numéro 223-224-225, mars 1990, pages 463-464.

 

Anomalies, La Nouvelle Barre du Jour, numéro 148, 1985, 31 pages.