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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Réginald Martel, La Presse, le dimanche 22 septembre 2002.

Pourquoi écrire?

Ils sont écrivains ou écrivants et on leur demande de s'expliquer. Nombreux déjà sont ceux qui ont répondu à l'invitation de Victor-Lévy Beaulieu, qui édite leur prose avec beaucoup de soin. Dans la plus récente fournée de la collection "Écrire", des textes de Noël Audet, Jacques Hébert, Raymond Lévesque et Renaud Longchamps. Il va de soi que les contraintes sont légères. Chacun y va selon sa manière et son goût. Pourquoi, pour qui, comment et quoi écrire? Telles sont les questions posées.

Le plus marquant des quatre titres est celui de Renaud Longchamps, un poète considérable. Le Rêve de la réalité la réalité du rêve est une entreprise rare, qui nous fait assister à la genèse d'un poème, dans son contexte géographique et existentiel. C'est une sorte de work in progress dont le propos est d'investir le faire et le comment faire pour les intégrer à un texte plus vaste, qui appartient à la fois à l'essai et à la poésie et propose donc deux lectures parallèles, extrêmement révélatrices des exigences de la poésie quand elle n'est pas bluette ou charabia. Ce n'est pas une œuvre facile, c'est une œuvre lumineuse: "Nu, mais revêtu de neuf vies empruntées au soleil et aux nuages, volées à l'herbe et à l'eau, arrachées à l'éclair et à l'orage, j'affirme la sauvage souveraineté de mes mots chargés de miel et de sel."

 

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Nicolas Tremblay, Lettres québécoises, numéro 109, printemps 2003, pages 50-51.

L'esprit de la lettre. Trois écrivains, trois genèses, trois musiques.

C'est au tour de Noël Audet, de Raymond Lévesque et de Renaud Longchamps de proposer une réflexion, au sein de la collection "Écrire" que dirige Victor-Lévy Beaulieu (collection que connaissent bien désormais les lecteurs de Lettres québécoises), sur la pratique de l'écriture littéraire. Ce sont trois voix fort différentes qui se font entendre. Un exercice de comparaison bien élémentaire démontre rapidement les nombreux écarts qui séparent la pensée et le style de ces trois écrivains. Cela n'est guère étonnant, bien sûr, cela est même souhaitable, dans la mesure où la littérature exige justement des singularités qu'elles affirment.

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Longchamps, au contraire d'Audet (qui prête à l'écriture des fonctions sociales explicites), n'adopte pas le ton de l'essayiste, garde enfouis les mystères de la parole, ne révélant le fond de sa pensée qu'à petites doses, implicitement. Le poète Longchamps fait de son essai un métapoème où, dès le commencement, alors qu'émerge du sommeil le narrateur (un Longchamps évanescent, trouble), le texte élabore un monde où cohabitent le rêve et la réalité, la métaphore et la nature. L'espace d'Audet a pour fonction de corriger la réalité, d'en dévoiler les turpitudes et les vices, tandis que, pour Longchamps, le lieu du poète ne réagit pas simplement à la réalité (qui, chez lui, prend nom de nature), mais aussi aux rêves, sorte d'extension nocturne du réel diurne, commandée aussi par le métabolique (le règne de la prédation et de la sexualité, théorise-t-il). La langue, les mots, selon la poétique de Longchamps (qui s'élabore sous nos yeux, véritablement, tandis que le narrateur-Longchamps peine sur sa table blanche à l'écriture d'un poème qui prend forme, son art poétique, qu'il triture, arrange, réécrit), sont dans un rapport dialectique avec le rêve et la réalité, le temps et l'espace. Ici, on est dans une alchimie du verbe rimbaldienne, ainsi que dans une espèce de transhistoricité.

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Les romans ou les personnages, par leur propre ton ou consistance, imposent un rythme et une cohérence à l'écriture. L'écrivain doit alors, selon Audet, apprendre à vivre de cette liberté acquise par l'œuvre elle-même (la seule qui, d'après lui, reste en ce monde). Quant à Longchamps (qui signe, à mon avis, le texte le plus significatif parmi les trois, mais aussi le plus exigeant et abstrait), il parvient à rendre, dans la structure de son essai, le frayage même de l'écriture. Il réalise, parallèlement, deux genèses, celle d'un poème (je disais, plus haut, son art poétique) et celle du monde, genèses qui se répondent et s'influencent. Il en découle, derrière une mécanique figurative complexe, une ode aux mots, au langage, qui situe leur place hors de l'univers naturel. Là résident, en partie, l'originalité comme la lucidité de Longchamps qui ne tombe pas dans le romantisme commun, qui a perverti l'original, et qui amalgame nature et langage, dans un rapport fusionnel. Sa pensée poétique, à l'image du chiasme qui orchestre le titre de son essai, propose une réflexion dialectique qui ne préconise ni le réel ni le rêve, mais leur prise en charge dans le discours, qui les transforme, leur donne une beauté esthétique, les "émerveille".

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 Le rêve de la réalité/La réalité du rêve, Éditions Trois-Pistoles, 2002, 91 pages.

 Extrait: "Au bout du sentier et de ma prairie magique, sur la grève de la rivière Le Bras, je ferme les yeux. Alors je vois mon poème et mon corps en flammes. Puis, tel un Phoenix, je renais de mes cendres, et ce sont maintenant mes mots qui tissent ma peau, arment ma chair, plantent mes os dans la terre qui m'a vu naître. Mots que je disperse sur le chemin du retour, soulevés par le vent neuf et la vérité vraie de la vie. Nu, mais revêtu de neuf vies empruntées au soleil et aux nuages, volées à l'herbe et à l'eau, arrachées à l'éclair et à l'orage, j'affirme la sauvage souveraineté de mes mots chargés de miel et de sel".