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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Claude Beausoleil, Renaud Longchamps: une chimie du corps et du verbe, Le Devoir, le samedi 26 mars 1983.

Renaud Longchamps fait partie de cette catégorie d'écrivains dits modernes qui ont surgis au début des années 70. Depuis 1972 il a publié plusieurs ouvrages de poèmes qui ont en commun une interrogation sur les rapports entre le langage et la matière perçue comme organique et constituée de tous les éléments terrestres portant germe de vie. La démarche de Renaud Longchamps vise une épuration de cette vision globale de l'univers qui semble soutenir les propos des courts poèmes que, depuis 10 ans, il n'a cessé de nous donner à lire avec une grande régularité.

Anticorps, qu'il vient de faire paraître, regroupe 11 textes publiés entre 1972 et 1978. Dans les poèmes du type pratiqué ici, on peut cerner le désir de produire une signification à partir du minimum, du concret, du brut. Les mots semblent des résumés de l'intention. Ainsi, on peut lire des textes qui sans détour creusent le code du langage choisi en insistant sur l'aspect elliptique de la parole poétique: "la licence se codifie/dans la stupeur/et la crainte des hordes logiques/la patience fascine dans l'attente".

Et cette licence chez Longchamps donne à voir tout son processus dans cette rétrospective où se retrouvent une bonne partie des préoccupations de la nouvelle poésie des années 70: le corps comme investissement et comme support d'analyse d'une version biologique des choses et aussi l'économie du langage comme moyen de rendre la recherche à sa plus rigoureuse essence.

Anticorps tire son titre général d'un ouvrage paru aux Éditions de l'Aurore en 1974 et c'est là que nous retrouvons la manière dont l'auteur envisage son projet d'écriture. Tout sera décrit sous l'angle de la matérialité. Ainsi, même les références sociales seront là inscrites dans leur constitution, leur "charpente", pour emprunter le titre d'un des recueils réunis maintenant.

Avec le temps les textes formels prennent leur place dans une histoire de la poésie québécoise, histoire en évolution, constamment aux aguets face à l'écriture en transformation. Cette poésie se situe dans un tableau d'ensemble lui-même constamment retouché. Dans le bouleversement des formes se jouent de nouvelles perspectives ou attitudes face au réel et à la littérature. Longchamps et d'autres poètes (Roy, Des Roches, Brossard, Gay) posaient la page comme un lieu privilégié de l'échange de lecture. Des petits textes se retrouvaient en pleine respiration dans les possibles de l'espace blanc.

En lisant cette somme de poèmes, nous pouvons saisir que les questions posées par la poésie de Renaud Longchamps sont de l'ordre du langage et de la pertinence de l'existence de l'espèce, puisque comme tout ce qui entoure l'homme "imminent" est aussi circulation d'hypothèses de survie et de destruction. Longchamps écrit dans Ditactique: une sémiotique de l'espèce (déjà paru en 1975): "si s'oxyde le corps décroche ou/approche par-delà les membres en cellules insulaires/verrons la valence ce silence à peu près/quand réduit du verbe magnétique/l'attraction induite ressasse le corps de conséquence".

C'est à la démonstration d'une chimie du corps et du verbe que nous convie ce regroupement des poèmes de Renaud Longchamps. Et comme nous y incite Claude Robitaille dans sa préface à l'ouvrage, il faut peut-être bien "lire cet anticorps comme essentiellement une production du désir - désir, entre autres, et beaucoup, non seulement pour le poète de se livrer mais d'y arriver en interposant un minimum d'histoire personnelle entre la matière et le texte qu'elle cherche à décrire". C'est là tactiquement que se cache le sens du livre.

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Michel Beaulieu, Poète beauceron et passionné, Livre d'ici, volume 9, numéro 2, le 11 octobre 1983.

La parution récente d'Anticorps, qui regroupe les poèmes que Renaud Longchamps avait fait paraître dans une dizaine de plaquettes malcommodes d'accès de 1972 à 1978, permet enfin de saisir d'un seul coup d'œil l'évolution de cette œuvre exemplaire et trop peu connue. Loin de la foule et du milieu littéraire, puisqu'il habite toujours son village natal en Beauce, le véritable passionné de l'écriture qu'est Longchamps n'a en effet pas bénéficié de l'attention que certains de ses confrères et consoeurs plus "présents" ont reçue à tort ou à raison.

Cette œuvre repose sur un postulat: tout est matière; tout n'est que matière. Une manifestation, quelle qu'elle soit, découle de la matérialité. La science est son credo, la science pure, s'entend, celle qui révèle de quoi tout est fait. On imagine presque un Newton ou un Galilée veillant derrière son épaule à la façon d'un ange gardien. le danger d'une telle entreprise découle de ce qu'elle s'apparenterait au commentaire si elle ne s'accompagnait pas d'une remise en question du langage qui la sous-tend. Peu de lecteurs seront en mesure de la traverser sans une connaissance préalable des données, sans aussi un bon dictionnaire tant Longchamps affectionne le mot juste, mais en revanche quel enrichissement, quelle somme de détails percutants, quel plaisir lorsque ce qui semblait opaque à la lecture se révèle tout à coup dans son évidence. L'auteur possède la capacité d'émerveillement, mais élevé à sa dimension éthique: il ne suffit en effet pas de constater la réalité; il faut agir sur elle comme nous sommes agis par elle. C'est dans cette mesure que la vie aura un sens, du moins celle de Renaud Longchamps et de ceux et celles qui l'auront suivi dans ce discours à la fois riche et raboteux.

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Antonio D'Alfonso, Nos Livres, volume 14, octobre 1983.

Il y a des livres qui laissent perplexe. On cherchait de quoi se soulager mais on n'a trouvé que des textes qui affaiblissent davantage. Renaud Longchamps n'est pas un médecin cependant. Il ne peut rien donner qui puisse calmer l'étourdissement. Aucune pilule dans ses tiroirs pouvant mener au doux sommeil.

Anticorps, pourtant, soulage. Avec ses fragments d'images, ses bouts de phrases cassées comme de la porcelaine, les textes de Longchamps "brûlent la peau sans désir". L'auteur ne te pose aucune question mais il met en garde contre le stress. Il offre des "anticorps mentaux" - que Henri Michaux lui a donnés - afin de traduire le "cri de papillon" qui saoule dans l'incertitude. Il demande de tenir en laisse le silence et de mordre les "mamelles du ciel". L'effort de sortir de la douleur n'est certainement pas facile. On est habitué à la douleur et on la trouve tout à fait naturelle. Toutefois, Longchamps t'enseigne que la vérité est plus ferme, plus forte que les rêves. Il offre des paroles à boire et engraisse ton imagination repue par la "consommation courante de la rôtissoire sociale".

Renaud Longchamps est un anti-idéaliste, un anti-rêveur: "nulle part ne mène à rien". Il préfère se jeter dans la ferraille que de se projeter dans l'ailleurs d'un faux désir. La vie est matière et c'est dans le "frisson de la matière" qu'il faut se perdre. La nature pour Longchamps n'est pas un lit de souvenirs ou de rêves; elle est composée de "reliefs de chlorophylle". De la matière. Il cherche les "protéines du réel" et la "sensation épidermique de l'univers, et enseigne à sa façon comment on peut les trouver soi-même.

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Bernard Gilbert, Une rhétorique de l'a-violence, Interventions, numéro 21, hiver 1983, pages 49-50.

Écrire la survie. Quand un jour ou l'autre certaines anomalies louches traînent dans le décor, dérangent, griffent. Écrire la survie du désir, de la douleur. Penser tout à coup à l'éclatement de la matière, éprouver le réflexe de poursuivre, de détourner sa mort.

L'écriture - la publication - apparaît à plusieurs comme l'assurance perpétuelle d'une mémoire. C'est un fait d'institution qui demeure de peu d'intérêt. La survie des innombrables sujets que transporte un texte, biographiques ou fictifs, est sûrement plus prégnante. La production littéraire offre un vaste choix. [...] L'édition récente de textes limites, à la fois lucides, désespérés et rebelles face à la violence de vivre. [...]

La survie ne s'exerce pas qu'en situation d'urgence ou d'exception. Elle se manifeste aussi à travers ce qui supporte nos existences dans leur permanence. En-deçà du social, du politique ou du médical: dans la constitution de la matière. L'écriture ne peut opérer que des approximations de la logique des micro-organismes et/ou des galaxies. Tout de même, il y a des écritures poétiques qui ont assez de prise pour tisser cet espace, dont celle de Renaud Longchamps.

Anticorps. Recueil de onze suites de poèmes écrites entre 1972 et 1978. Dans les premières années, on assiste à la dissection d'un milieu social, de ses structures et pratiques coercitives (travail, famille, père): ne décrire que les images d'épine au pied de la plainte abominable [...] et l'écriture c'est une fosse commune de la rancune.

Cette mise en scène du sujet en regard des comportements de civilisation se veut incisive. La violence des poèmes se veut une défense. Jusqu'à Sur l'aire du lire et Ditactique... où apparaît l'espèce dans son détail et sa filiation matérielle. ADN-plèvre-oxygène, le corps est reconstitué au rythme du texte: ouvert, formel, lapidaire. Avec en plus le désir. Longchamps n'arrête pas de traiter les tensions quotidiennes du politique, c'est le point de vue qui diffère. Le matérialisme sociologique ne suffit pas, il est en plus depuis le milieu des années 70, comme le dit Claude Robitaille en note à sa préface, ludique, entropique. L'État de matière, qui clôt le livre, est exemplaire à cet égard: frissons, chair, usine, la réalité obtient sa survie de l'univers et de sa dynamique plus que du discours de la loi.

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 Suite à une malencontreuse erreur de la nouvelle direction de VLB Éditeur, presque toute la première édition a été détruite. On estime à moins de cent cinquante les exemplaires en circulation.

 Cette rétrospective réunit les recueils suivants, dont certains ont été remaniés en profondeur par l'auteur dans une perspective formaliste: Paroles d'ici, L'Homme imminent, Anticorps suivi de Charpente charnelle, Sur l'aire du lire, Ditactique: une sémiotique de l'espèce, Main armée, Terres rares, Fers Moteurs, Comme d'hasard ouvrable et L'État de matière.

 

Première édition:

Anticorps, poèmes 1972-1978, VLB Éditeur, 1982, 376 pages.