La version de votre navigateur est obsolète. Nous vous recommandons vivement d'actualiser votre navigateur vers la dernière version.

Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

Extrait de Quatre saisons en enfer

 

Le 12 septembre 2007.

 

Les poisons m’épuisent, mais je ne ressens pas encore la fatigue de la vie chaotique. Celle réglementée par l’étonnant privilège d’exister. Je suis las de m’obliger à la nature quand elle n’a rien à dire à ma vie, quand elle s’agite en vain pour la reproduction et la fatalité.

 

«La vraie vie est ailleurs», disent les croque-morts, pieds figés dans la réalité. Pas sur ce grabat taché de plaintes, pas dans la morne étendue de mon silence aristocratique. Encore moins dans cette salle qui rétrécit les veines anciennes, qui se dilate seulement avec les rêves de mes frères endormis. La vraie vie est ailleurs et j’ai tout arraché à ma chair sans rien prendre à l’existence.

 

Sans cesse elle occupe l’espace vierge où les ancêtres ont déjà marché, où nous avons toujours parlé de la nuit avant d’engendrer l’obscurité. La vraie vie est à jeter en bas de mon lit toujours défait.

 

Méthodique, la nature voit à l’épuisement de l’espèce, sans réclamer le bien ou le mal. «Cela est juste et bon» qu’elle psalmodie alors l’orante en extase devant le calendrier polychrome d’une femme lascive. À l’entendre, je suis trop présent pour justifier ma présence.

 

Comme la vierge blanche ne connaît pas la paix, elle vient une fois de plus me tourmenter. Je lui répète que je désire la vie, avant tout courte et pleine de circonstances. Pas celle trop biologique qui sert la finalité d’ancêtres dont je n’entends pas le souffle brûlant et que je ne connais pas, que je ne veux surtout pas entendre ni connaître. Je ne cherche pas quelque nirvana dans l’évitement de mes souffrances programmées. Non, je ne veux pas ce qui est et ce qui sera toujours une perpétuité légalisée par l’humanité dont le progrès suit l’usure.

 

Non, je ne veux pas cette vie punique qui appartient aux prédateurs efficaces. Je ne veux pas reproduire les mâchoires qui briseront toujours le hasard à l’heure de la nécessité. Devant la vie condamnée à son absence protocolaire, je refuse la nature de l’erreur et l’erreur dans la nature. J’ai assez d’un corps à la recherche de son évitement, perdu dans un bazar impossible à bazarder.

 

«La vraie vie est ailleurs» radotent alors en choeur les prédateurs efficaces afin de rassurer leur proie. Elle reste à reconnaître parmi le chaos considérable œuvrant pour un ordre invisible à la pitoyable réalité. Voilà pourquoi la vie reste à créer en détournant la nature de l’imposture et de la défaillance. Peut-être naîtrons-nous un jour à une vie vraiment évidente, sans échéance et sans passé ? Une vie qui ne partagera plus la nature et l’épuisement et la nature de l’épuisement.

 

Avec mes poisons bien tempérés, je n’attends rien d’un corps qui s’agite dans les matins nains. Sombre et souveraine, la nature complote avec la mort; ainsi elle négocie notre létalité. Dans la pénombre de la grande salle, je n’arrive pas à distinguer les gnomes grotesques qui dressent l’échafaud.