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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

Extrait de Babelle 2. L'Escarfé

 

L'Abyssinie asymptotique

 

Le prix de l'éternelle vigilance est l'indifférence.

Herbert Marshall McLuan

 

Comment revenir à la vie? C'est pas un temps pour des questions de morpions, encore moins pour des interrogatoires de purgatoire. Surtout quand on se retrouve dans cette position inconfortable. Comprends-tu? Dégrises-tu? Sait-tu que tu te tues quand je te tue? Au bout d'un tunnel de lumière, tu entends l'appel de Babelle et c'est celui de la Mort (avec un M majuscule, c't'affaire; ça commence à être le temps de penser à rétablir le début de l'ombre de la queue de castor de la ponctuation, non? Tu penses pas que le ponctuateur doit remplacer le ponctueur?) Comme d'habitude tu te retrouves au bout de ta brosse étendu de tout ton long, mais sans dessus dessous au plafond de la cabine du quatre roues motrices, les quatre fers en l'air, avec les écoeuranteries du fossette pourri dans la face, le cou ben pris dans un foulard d'une piastre et quart enroulé autour du volant qui lentement t'étrangle. Pourquoi revenir à la vie, après tout, après toutes les quintes de toux de la vie, si c'est pour brailler trois coups pour trente sous après un autre coup de grisou, tout juste avant les tempes grises, si c'est pour se débrailler jusqu'à l'extrême limite de sa petite matière vivante tu marmottes ça s'peut pas que toute notre vie soit télécommandée par la mort la face dans la face cachée de ses propres déjections non j'veux pas non j'veux pas j'veux pas converser avec l'père non pas tout d'suite j'veux pas me voir dans les yeux noirs de mon frère leucémique j'veux pas voir ces yeux qui te regarderaient certainement avec l'expérience de l'éternité pis après bon pis après j'attendrai un autre jour pour crever à mon tour j'veux pas mourir non j'veux pas mourir pas tout d'suite surtout pas la face dans marde du fossette pourri j'ai encore toute la quiétude de la chair fascinée par son inéluctable dégradation j'ai encore toute la quiétude de la chair de la femme à revisiter non non non tout est blanc autour de moi pis j'me surprends tout à coup dans un autre décor un autre royaume on dirait que je tombe dans le tunnel de lumière blanche j'tombe enfin j'tombe sans fin j'ai peur j'veux pas voir ma tombe voilà que j'suis comme anéanti dans la lumière comme dissout dans l'éternité pis c'est tout en envers dans mon corps c'est tout de travers dans mon coeur pis ça fait tout drôle les mots se changent en maux les mots sont comme des animaux en fuite dans la prairie de la rivière Le bras et je n'ai pas de petites maisons pour les abriter de la pluie des éclairs et du tonnerre de la voix les mots n'ont plus la même inertie et il y a une voix qui dit inutile de parler inutile de penser ici tu n'as rien à craindre derrière toi tu as laissé la nuit terrestre pour la lumière céleste la lumière éternelle celle qui t'appelle de tout son amour alors dépouille-toi de toi laisse à ta chair passée tout ton passé...