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Photographié par Stéphanie Gilbert.

ACCUEIL CRITIQUE DU LIVRE

 

Jacques Paquin, Lettres québécoises, automne 2011, page 43.

Le corps peut-être céleste

Le dernier titre de Renaud Longchamps semble un écho renversé de son avant-dernier recueil, Confessions négatives, dont j'ai déjà parlé dans ces pages. Le ton de la confession est toujours présent, mais attention, encore une fois, ce n'est pas l'anecdotique qui donne accès à l'intimité du poète.

L'amour, le temps, la place des hommes et des femmes dans l'univers font partie des grands thèmes qui traversent toute son œuvre. Mais alors que les recueils antérieurs de Longchamps empruntaient une voix un peu plus distancée, voilà que, depuis un certain temps, on sent une plus grande proximité de la voix, plus que les confidences d'une personne biographique. C'est ce qui me frappe et me fascine dans la poésie de Longchamps, ce glissement perpétuel entre un sujet dévoué à une parole amoureuse et l'observateur du "vaste monde", comme le titre un des poèmes.

L'infiniment grand

L'amour ne va pas sans une conscience planétaire, et la prise en acte de notre petite place dans l'univers n'est jamais dissociée de l'être singulier que nous sommes, aimant et souffrant. Dans "La réalité", le poète affirme sans ambages: "Voici/ce qu'il faut savoir/sans rien devoir à la chair/et à ses éclats" (page 39). Celui qui a signé le fameux triptyque de Décimations ne s'empêche jamais de considérer les choses selon le point de vue de Sirius et de traduire la condition de l'homme en termes de physique quantique ni ne se prive de jeter un regard lucide à travers une "Fenêtre fractale", autre intitulé du recueil. La loi de l'amour reste assujettie à celle de l'univers:

Je t'aimerai ainsi

que le désordre l'autorise

selon les lois trop longtemps compromises

avec le cosmos (page 15)

Le sentiment de la fin est donc d'autant plus puissant. Après avoir franchi un poème crépusculaire, suivi d'un texte qui repart, comme l'indique son titre, "À la naissance", la lecture débouche sur une confession, tranquille, ni négative ni positive: "Tous les matins j'ai le goût de la mort" (page 55). Il faut aussi lire ce beau texte, "Fenêtre fractale", que je viens d'évoquer: la fenêtre est fractale parce qu'elle offre au regard le dessin compliqué de la réalité. Je serais tenté de qualifier Renaud Longchamps de grand lyrique cosmique, mais ce serait occulter la part personnelle de cette poésie. Longchamps, c'est Lucrèce (auteur de De la nature) projeté au XXIe siècle. Cette voix, ce murmure dirais-je, qui forme le linéament des vers morcelés par de nombreux blancs, qui est fréquemment envahie par le doute, par le sentiment de la perte et de l'absence, survit parce qu'elle parie sur l'amour et où, fait rare, on donne la parole à la principale intéressée: "Je t'ai toujours aimé/et cela ne m'a jamais permis de laisser couler/le sable échoué dans ma main" (page 66). Le recueil se termine sur "Nelly arcan" à laquelle il prête son propre timbre:

j'ai pourtant eu long plaisir

à caresser la multitude (...) dans l'attente d'une vie

qui ne vous rend jamais rien

qui ne se rend jamais en un seul lieu

authentiquement éternel (page 69)

Voilà bien la quête profonde de Longchamps: l'éternel authentique.

***

Michel Lapierre, Le Devoir, le samedi 9 avril 2011, page F6.

Renaud Longchamps et le chaos du cœur

On reconnaît les vrais poètes à la banalité du petit nombre de mots qu'ils emploient pour suggérer le fond des choses. Ainsi, en exergue de Positifs, son livre sur l'amour, Renaud Longchamps écrit: "Nous irons ailleurs." Admirable, cette courte phrase jette une lumière essentielle. Féru de science, Longchamps lutte, dans le recueil de poèmes, contre un concept de la physique quantique, le corps noir, pour unir l'aventure des amants à celle du cosmos.

"Nous sommes deux/sans êtres seuls//Avec la soif à partager/avant l'orage", résume-t-il en estimant que le chaos permet d'éviter à l'univers une perfection desséchante, représentée par le corps noir, cet objet idéal qui, en théorie, absorberait toutes les radiations électromagnétiques, sans en réfléchir ni en transmettre. "Le corps noir/est l'âge sombre du cœur", explique celui qui sous-entend que la perfection est la pire ennemie de l'amour.

En insistant de manière quasi scientifique sur les insuffisances et même les limites de la passion, Longchamps ne se perd pas dans des abstractions. La perspective cosmique ne rend que plus poignantes et plus évocatrices les confidences à la bien-aimée, par exemple: "Je te prie de croire/que je sais le prix de toutes les glaces/prises au hasard/d'un premier baiser."

Que l'écrivain québécois dédie le dernier poème de son recueil à la mémoire de Nelly Arcan, la romancière qui s'est suicidée en 2009, cela se comprend. Pour Longchamps, l'amant ne peut se "réaliser/que dans un amour suspect/suspendu aux corps corrompus/et confiné aux agonies".

On s'émerveille que, chez le poète, la réalité soit à venir, le bonheur, sans cesse en gestation, l'amour, un voyage inachevé vers l'ailleurs. Le pouvoir de l'agencement des mots fait en sorte que Longchamps renouvelle des vérités d'ordinaires rebattues. La simplicité accomplit là un miracle.

***

Positifs, Éditions Trois-Pistoles, 2011, 68 pages.

 

EXTRAIT

 

LE DERNIER VENT    

 

Le dernier vent

dans la première feuille

n'est pas ton souffle

sur mon corps souverain

 

Ce camouflet

nous rappelle à l'heure

et à l'horrible réalité

de l'aube

 

Il ne se souvient jamais

mon corps

dans la nuit incontinente

quand l'ombre cherche son éclat

 

À tous les jours il te supplie

de tracer l'équation et la beauté

sur le sable qui ne garde rien

pas même l'éternité

 

Il n'a pas d'honneur

mon corps

car il ne peut partager

à la fois

la liberté et la loi

 

Voilà

ce qui existe

 

Voilà ce qui justifie notre solitude

 

Nous sommes deux

sans être seuls

 

Avec la soif à partager

avant l'orage

 

Nous avons faim

et l'amour en otage

 

Nous avons les besoins impérieux

d'un cœur brûlé dans un corps brûlant

 

Et nos corps fragiles vont

là où il n'y a pas de départ

seulement l'arrivée après la défaite

 

Et tu redeviens seule

pour les circonstances

 

Voilà que tu portes mon enfant

à l'œil éphémère

 

Une fois réunis nous serons encore gommés

avant le néant

qui s'invite au silence

malgré la rumeur

 

Nous savons l'autre vie

aux cycles imprévisibles

loin du chaos des humeurs

 

Tu me souffles à l'oreille

que le sens n'est pas la réalité

mais un potentiel de réalité

à réaliser

dans la prison de l'espace

et la cellule du temps

 

Je disparaîtrai

avec mesure

quand je prendrai enfin ton coeur

en volant

entre chaque battement

 

J'apparaîtrai

appâté

à ton sourire et à l'enfant déchu

 

J'aurai des jeux anonymes sur tes seins salins

 

Bientôt

dans le ciel toujours profane

il y aura une liane à l'infini

entre tous les mots échangés

et chuchotés à l'ombre

pour la lumière à réclamer

aux ténèbres

 

Toute la vie ainsi consumée

pour une liberté provisoire

qu'il reste à libérer de la confusion terrestre

en chaque instant chassé par le hasard