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Renaud Longchamps

Photographié par Stéphanie Gilbert.

Extraits de Sur l'aire du lire

 

 

 

sur le corps rien la peau qui soulève

le tout s'écroue la main germe protéines

sans sa prison lecture               plus tard écriture

se joue bien de se lancer dans les verrous

 

                                        *

 

maintenant se pratique le vol libre dans les seringues

législation d'ambulance calmort marines

les sangles ses farines et le corps au lavage

survolte dans l'opium des lessiveuses

 

                                        *

 

vers qui copie de la circulaire

papeterie se singe le crayon

cet inutile ustensile un sucre ou deux

le thé servi en peu de mots

 

                                        ***

ACCUEIL CRITIQUE DU RECUEIL

 

Richard Giguère, Livres et auteurs québécois 1975, Les Presses de l'Université Laval, 1976, pages 118-121.

 

(...) De loin le texte le plus énigmatique que nous ayons eu à lire est celui de Renaud Longchamps, Sur l'aire du lire. Sur un total de vingt-sept pages de textes très courts (quatre à cinq lignes), tous découpés au beau milieu de la page, nous avons compté une quarantaine de mots spécialisés venant du monde de la pharmacologie, de l'anatomie, des maladies infectueuses, de la microbiologie, de la botanique, de la chimie et qui l'eût dit, de l'aérodynamique. Et cela sans compter les nombreux néologismes d'origine savante. (...) Les plus importantes "aires" du texte sont les suivantes: l'énumération de certaines parties du corps humain (anatomie); le texte, l'écriture, la lecture ("l'aire du lire"); les mots savants et les néologismes se rapportant à la prophylaxie; enfin les allusions au monde minéral, végétal et animal, un début de cosmogonie.

Énigmatique, cette série de textes le demeure même après plusieurs lectures. Mais combien fascinante. le langage métaphorique (les deux termes de la métaphores étant toujours situés aux extrêmes) semble toujours sur le point d'éclater, mais se maintient comme par magie juste au bord de l'éclatement. De façon très étrange parfois Renaud Longchamps établit un parallélisme entre d'une part la production matérielle (papier, crayon, encre, lettres, origine des mots) du texte, son abolition ou sa dérivation, sa résurgence sous une forme (la formule "le lire, le dire, le rire" résume bien le phénomène) et d'autre part le développement des maladies infectueuses, leurs symptômes, le moyen de les traiter, de les guérir ou de les faire disparaître.

***

 Robert Saint-Amour. Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome V, 1970-1975, pages 652-655.

 

(...) Ainsi, par le poème, le corps est lui-même resignifié. Bien plus, le mot est retourné à sa source. Plaisir du mot pour le mot qui atteint son paroxysme avec Sur l'aire du lire. Vingt-cinq poèmes de quatre vers, et deux de cinq.

Texte qui peut paraître des plus énigmatiques avec ses quarante mots et plus empruntés à des sciences telles que la microbiologie, la pharmacologie, la botanique..., toutes sciences savantes qui contribuent, à leur manière, à la fabrication d'anticorps. Mais le texte s'éclaire singulièrement si l'on sait que la sérotonine, à laquelle le texte est dédicacé, est une substance aminée élaborée à la fois par l'intestin et le tissu cérébral et qu'elle joue un rôle important comme vasoconstricteur au niveau intestinal et comme médiateur du système nerveux. De façon évidente s'établit alors un parallèle entre les mécanismes du fonctionnement physiologique et le poème. Celui-ci est alors perçu comme un organisme vivant qui s'auto-génère et s'auto-contrôle par les "tripes" et la tête.

Peu importe donc de lire un poème dont la structure se tient à la frontière du grammatical. L'essentiel est ailleurs. Il est dans le mot et l'image, sorte d'anticorps qui donnent le tonus au poème et l'empêchent de se nécroser.

***

Claude Beausoleil. Hobo-Québec, numéros 23-24, mai-août 1975, page 5.

"(et l'histoire du mot?)" Renaud Longchamps a déjà publié Anticorps suivi de Charpente charnelle. Par certains aspects, son second recueil se rattache et s'éloigne des premières expériences d'écriture. S'y rattache: "(la masse froide les chairs à désirer/sans cesse giratoire sur l'aire du lire)". S'en éloigne car plus serré, plus précis aussi, plus technique. Ces nouveaux textes de Longchamps débouchent sur une réflexion sur la forme de l'écriture. Forme: lire. Sémantique: délire. Le contenu est encore très près d'une imagerie surréaliste (référence à Henri Michaux, type de lexique, etc.). Ceci ne me gêne pas d'ailleurs, car je suis convaincu qu'au Québec nous n'avons pas réellement vidé nos comptes avec le surréalisme.

Langage libidinal transformé par l'utilisation d'une syntaxe ébranlée, cette "aire" (espace/lieux/jeu) préfabriquée laisse pourtant filtrer des sens qui sont incontrôlés et c'est là selon moi tout l'intérêt de ce petit livre.